Tous les deux ans, le Marché des arts du spectacle d’Abidjan s’ouvre et s’affiche comme le rendez-vous incontournable des scènes du continent africain, mais pas que. Bien plus que des représentations, le MASA propose pendant une semaine de réfléchir et de tisser un discours fort qui impose la culture en général, et le théâtre en particulier, comme une « arme de construction massive ».
Et à ceux que cela ferait sourire, tant la formule peut paraître éculée, alors il faut venir écouter les paroles de ces artistes qui façonnent les cultures du continent. Car c’est tout l’intérêt de cette manifestation : sept jours durant, les professionnels invités peuvent non seulement assister aux spectacles d’une centaine de compagnies venues d’une trentaine de pays, mais surtout, et c’est le plus intéressant peut-être, écouter les multiples tables rondes organisées autour d’un thème, qui en 2018 était le suivant : quels modèles économiques pour les arts de la scène ? À ces instants apparaissent des réalités, pas toujours très éloignées de celles qui sont les nôtres en Europe : le manque de moyens financiers au service de la création, bien sûr, mais aussi l’inexistence d’un cadre juridique suffisamment solide pour le statut des artistes, la faiblesse des formations artistiques, le manque de mobilité des troupes, ou encore le trop peu de considération des spécificités locales. Autant de lacunes et d’oublis auxquels le MASA souhaite répondre par son existence même et par ce qu’il propose comme conditions de travail et de représentation aux artistes qu’il invite, mais aussi par ces paroles diffusées lors de ces sessions d’échange. Des sessions à l’occasion desquelles deux discours se détachent : le désir de faire de l’art un business, comme pour répondre par l’excès inverse à ceux qui voient encore le spectacle vivant comme un gentil divertissement, et un second, plus intéressant, selon lequel l’artiste devrait se poser en puissance de parole historialisante de son temps, capable de s’imposer en aimant fédérateur et comme cette cellule qui pourra contrecarrer le désir de certains pouvoirs politiques de « court-circuiter les consciences ».
Sur scène, devant les quelque 150 journalistes et 250 professionnels invités à venir assister aux spectacles, ce sont donc des discours plutôt que des formes qui se développent, avec tous les risques que cela comporte. Les risques, oui, car il serait illusoire de penser que, l’art étant une arme politique, les artistes qui le font et les institutions qui l’incarnent seraient tous aptes de la même façon à découdre la rhétorique politicienne qui tue pour en formuler une autre, construite et nécessaire. Au fil des représentations, ce sont ainsi des paroles très inégales qui sont offertes au public, parfois belles, mais souvent naïves, quand par exemple l’humoriste ivoirien Adama Dahico s’avance sur le plateau pour nous dire ces mots : « Sans paix, il n’y a pas de développement. » À quelques encablures à peine d’un discours de Miss France, on avance donc dans la forêt des propositions qui nous sont faites, sans réellement comprendre la nécessité des mots, et le pourquoi du manque de forme. Peut-être évidemment parce que cette histoire des théâtres africains dont les artistes déplorent qu’elle soit inconnue de la jeunesse ne situe pas à cet endroit, et alors cela serait très bien ainsi. Reste que ce n’est pas toujours vrai. Quand la camerounaise Agathe Djokam occupe la scène, c’est toute une histoire qui s’avance et des sensations qui hurlent brillamment, selon les codes, le temps et l’espace qui sont les siens. À cet instant alors revient cette éternelle certitude : celle du talent, et des moyens mis à leur disposition.