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C’est un curieux équipage qui nous accueille à bord de la péniche La Pop, quai de la Seine. Au fond de cette cale, Anne-James Chaton et Manuel Coursin nous plongent dans les mystères de la disparition du capitaine Lapérouse et des ses navires L’Astrolabe et la Boussole.

Sous le regard du metteur en scène Eric Didry, le poète et le musicien trouvent le point de jonction entre l’usage des mots et celui du son : les mots pour les ondes qu’ils propagent, les sons pour les paroles qu’ils induisent. Ils sont tous deux dramaturges sonores et leur souffle poétique spécifique gonflent la même voile, celle de notre imaginaire maritime.

Chaton manie l’art de l’énumération avec toujours la même maestria. Ici, les provisions embarquées pour l’expédition, les augures qui auraient pu annoncer sa malédiction ou encore la longue liste des gestes interdits qui l’auraient provoquée. Il s’adonne à l’exercice de style à la Queneau dans le récit d’une rixe de taverne. Entre deux cigarettes, le poète déroule ainsi ses algorithmes verbaux avec cette voix grave et envoûtante qui nous laisse sidérés, comme devant le spectacle d’une fractale qui se déploierait peu à peu sous nos yeux. De son côté Coursin bidouille et bricole. Chaque élément scénique est une trouvaille instrumentale dont il va se servir pour faire exister une ambiance, un événement, un fragment de récit. Des samples de vieux films d’aventures, un sac de riz suspendu qui s’écoule, un archet qui grince sur des guindes de métal plongées dans une bassine d’eau, des toiles soulevées par une soufflerie… De la même manière un peu DIY, il recompose lui-même un chœur de marin pour un tour de chant épique.

C’est cet artisanat part de la matière la plus concrète pour traiter du mystère le plus abstrait, la disparition en mer, et finalement atteindre la poésie la plus raffinée. C’est d’une puissance indescriptible. Si la poésie est l’art de matérialiser ce qui est absent ou conceptuel, ce duo prend cette mission très au sérieux. Avec cette “Affaire Lapérouse”, ils s’attaquent à la notion de mystère et parviennent à le rendre familier et sensible avec tous nos organes. Nous ressortons de la péniche avec le sentiment d’être moins orphelin face à l’inconnu. Nous posons le pied à terre, le sol tangue encore un peu mais nous savons à présent que ce balancement n’est qu’un mauvais tour de nos perceptions humaines. Ce balancement qui, comme notre ombre, déforme la réalité pour la rendre instable et angoissante, ce balancement pour survivre il nous faut l’embrasser, le lire à travers un alphabet universel, la poésie.