C’est fini

Water Will (in Melody)

DR

« Entre elle et lui il y a encore la mer : écrasée, plate comme la pierre, sublime, désertée par la vie. » C’est la mort chez Marguerite Duras. Le mouvement organique prend apparence minérale, et sous un soleil d’extinction apparaît l’homogène monochrome d’une fin. Ça aurait pu donner naissance à une pièce chorégraphique faite de silence et de solitude. Mais la chorégraphe Ligia Lewis, que l’on a vue notamment danser chez Eszter Salamon, prend un parti absolument contraire pour embrasser cet horizon d’anéantissement. L’espace est nocturne, les oiseaux bruissent, les anges chantent, l’humanité (sous la figure de quatre performeuses) nous regarde yeux grands ouverts et grimaces ironiques au visage. Les ténèbres ici sont bel et bien gothiques, comme ce noir de presque une dizaine de minutes qui introduit la pièce et duquel émerge lentement la douleur d’un corps. Comme ces résonances de « L’Île des morts », de Rachmaninov, comme cette danseuse qui tend au ciel l’une de ses tresses pour mimer un geste de pendaison. Bref, nous voici entrés dans l’enfer d’une trop luxuriante forêt où règne davantage une imagerie de l’apocalypse qu’une véritable pensée chorégraphique de la fin. Peut-être parce que le gothique se transforme ici un peu vite en une esthétique de l’expression littérale. La couleur noire pour les idées noires et la grimace pour la douleur : entre le sentiment et son incarnation plastique, non pas un écart, mais une redondance, une répétition, un mime – figures expressionnistes, mimiques outrancières, usage de la parole strictement pléonastique (une performeuse tombe, sa bouche grince alors d’un « I fall again »). Reprenant toute une série de routines formelles de la performance chorégraphique contemporaine – délitement de l’écriture, hétérogénéité des séquences, arbitraire du geste, subversion burlesque –, Ligia Lewis se retrouve du même coup à adopter une vision elle-même routinisée de cette mort à venir qui, chez elle, est bien plutôt une mort au passé, déjà vieille de plusieurs siècles (fantômes et autres zombies). C’est un univers bien trop vivant pour le néant qui nous attend – loin de la fin telle qu’elle se présente à l’horizon du monde moderne, loin de ces ténèbres sans paroles faites de soleil, de mer et de pierre.