Generation After #3

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Le showcase « Generation After » fêtait en mars sa 3e édition, avec toujours le pari de présenter une génération polonaise relativement inconnue hors des frontières nationales : n’est-ce pas l’honnête promesse du sous-titré « Risky Projects » ? Génération d’après donc, qui fait fond sur l’héritage, mêlé d’un contemporain particulièrement occidental et d’une théâtralité toute dressée par la tradition du théâtre polonais ; un partage logiquement programmatique de ses explorations artistiques.

Pas moins de quatorze spectacles ont été présentés en trois jours dans six lieux (Nowy Teatr – théâtre organisateur –, TR Warszawa, Teatr Powszechny, Studiogaleria, Ujazdowski et Komuna Warszawa) ; nous en retiendrons deux ici. Premièrement, « The Polaks Explain the Future », pour l’admirable concept de la performance : sur la scène, deux frères et sœurs ridiculement accoutrés dispensent un DJ-set hallucinant sur le futur du monde. Le piano ne musicalisera en effet rien d’autre que des paroles de provenances diverses (personnalités comme quidams) qui sont autant de petites prophéties du réel – affichant par la même occasion le visage du parleur, dont le découpage vidéo type Paint retient difficilement le rire. Car les deux artistes mixant notre futur s’équipent d’un humour ciselé, les mots se superposant jusqu’à devenir inintelligibles, tandis que l’habile création lumineuse technologico-cheap (rampes LED kitsch, motorisés au sol…) saupoudre d’ambiance concert nineties les pythies techno qui leur servent d’instruments. Il est presque dommage que ces « Polaks » (pratique nom de famille des acteurs) proposent des réponses à leur propre mix : partie forcément un peu plus faible tant le gag l’emporte sur le discours – car ils restent au fond bien muets de réflexion politique pour un late show si bavard. Pourrait-ce être autrement ? La prévision de notre futur se sera autosuffi dans ce qu’elle calcule d’eschatologie amusée.

Cependant, c’est tout particulièrement le work in progress « Extasis » (par ailleurs ébauché dans le cadre du programme français de la Cité internationale des arts) qui a retenu notre attention pour une raison qu’il est difficile d’évoquer sans enspoiler l’intérêt premier. Explorant l’obscure figure de la performeuse Maria Klassenberg – avant-gardiste polonaise méconnue dont le spectacle voudrait redorer le blason –, « Extasis » imite les codes du vernissage : un lieu légitime (un centre d’art), un éloge prestigieux (une chercheuse dithyrambique de Klassenberg), les artistes eux-mêmes (Klassenberg – monstre blond qui restera quasi muet tout le spectacle – et sa fille)… Sans oublier l’installation : un dispositif vidéo underground qui termine d’évacuer toute théâtralité excessive. Voilà la (soi-disant) fille présentant les périodes artistiques de la (soi-disant) performeuse avec exemples documentés – mais tous de plus en plus douteux… Quel comportement adopter : acquiescer mondainement ou éclater de rire ? « Extasis » ménage un dispositif de crise pour le spectateur, qui, probablement peu au fait de l’histoire polonaise, ne saura plus qui croire du contexte (on est dans un centre d’art tout de même) ou des archives gênantes de Klassenberg. Il faut s’arrêter là pour comprendre déjà le formidable travail sur le régime du vrai que dirige Katarzyna Kalwat. Peut-on encore participer à un rituel d’art évidé de tout intérêt si le contenant nous y engage ? Une réflexion que « Generation After » évitera sans encombre tant la programmation qu’aura promise le Nowy est risquée et audacieuse.