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Si la « violence des plantes » faisait « vaciller » René Char, c’est à leurs vibrations sonores que s’intéresse très sérieusement la compagnie Laïka, dans une symphonie végétale à vocation archéologique (et anthropomorphique, puisqu’elle cherche à recenser toutes les émotions humaines), dont la technologie couleur menthe à l’eau ne dilue jamais nos biles marécageuses. Le « Palace de Rémi » se présente apparemment comme une énième utopie artistique, faisant de la scène un réceptacle de la « réalité parallèle » façonnée par ses « personnages naïfs ». On le qualifierait davantage d’hétérotopique (pour citer Foucault), non seulement parce qu’il est un espace on ne peut plus prosaïque et provisoire (cave en contreplaqué peuplée de néons maladifs) mais surtout parce que sa fièvre synthétique, aussi lunaire soit-elle, est sans cesse traversée par des courants d’airs spleenétiques. 

C’est la nonchalance clownesque d’un certain Ferdinand (à la scène comme à la ville) qui nous accueille dans sa modeste caverne aux merveilles pour un concert à la carte où le public, comme dans les télé-crochets, est amené à voter pour « choisir l’ambiance. » L’oxymore acidulé de sa « mélancolie tropicale » finit très douteusement par l’emporter, et c’est au processus créatif de l’encyclopédie sonore, véritable Livre à venir, que nous allons assister, mené avec l’aide de sa voisine Juliette, discrète Castafiore, et avec Julia la manageuse qui, comme la Daphné d’Ovide, subira provisoirement une métamorphose végétale. Dans ce spectacle jubilatoire, où une bricole technique plutôt fascinante se mêle aux risibles mélodies du synthétiseur, où la légèreté n’évince finalement pas les larmes et où le décalage burlesque nourrit sans en avoir l’air une inquiétante étrangeté, c’est à la fois l’efficacité artistique elle-même qui est délicatement mise à l’épreuve, mais aussi la place des nouvelles technologies, dans une perspective créative qui contredit le pessimisme post-moderne.

Dans cette « dématérialisation des données et des savoir-faire » qui nous environne et que le spectacle parvient judicieusement à représenter, une question cruciale subsiste : qui est vraiment Rémi ? Cette plante agonisante, rempotée avec amour pour jouer du triangle avec ses camarades ? Ou bien nous, spectateurs, grands arbres de liberté romantiques ruinés par l’âcreté du monde ? Pas si simple de trancher, surtout que Ferdi remet le son et que nos émotions botaniques sont portées jusqu’au paradoxe.