« La Suisse n’existe pas »

Dans sa devise du pavillon helvète à l’Exposition universelle de Séville en 1992, Ben condensait une réalité (non) identitaire toujours en question aujourd’hui. Le « Qui sommes-nous ? » ontologique résonne par-delà les Alpes avec une légère inquiétude, source de tous les volontarismes contemporains en matière d’art notamment. Cette suissitude imaginaire ou rêvée se traduit en effet par une ambition d’exposition (c’est-à-dire de vitrine) dans les manifestations majeures internationales, de la Biennale de Venise au Festival d’Avignon, pour que le monde trouve enfin dans l’art suisse autre chose que l’écho de son essence alpestre. Une étude montrait récemment que les États-Unis comptent un.e artiste pour 230 000 habitants, alors que la Suisse porte ce ratio aux nues avec un.e artiste pour 3 333 confédérés ; une chance pour certains, un problème pour d’autres, cette présence massive déborde de ses frontières et innerve méthodiquement les canaux internationaux de diffusion artistique. Pour cette 4e édition avignonnaise, la « sélection suisse en Avignon », label désormais incontournable dans la jungle festivalière, poursuit vaillamment son objectif. Car si une étude sociologique de 2015 révélait que « 42,2 % des Suisses jugent que l’art sert à stimuler la connaissance et la réflexion, 20,7 % des Suisses pensent que l’art sert à susciter la subversion et la critique », il sera important de constater que les choix de programmation en 2019 engagent eux volontiers le débat tant ils témoignent d’une vitalité hétéroclite mais cohérente ; le « petit peuple créateur de grandes œuvres » semble s’être donné les moyens de n’être plus seulement qu’un slogan. Si sa directrice, Laurence Perez, en appelle à l’appartenance à un paysage dans son édito, ce n’est pas celui du cliché facile et institutionnel mais plutôt la revendication d’une communauté étonnante qui dévoile autant qu’elle dissimule les aspirations du moment. La présence suisse vise aussi à rappeler aux Suisses eux-mêmes leur unité difficilement constituée, par-delà le cloisonnement géographique et l’hétérogénéité culturelle, et à leur montrer le « visage aimé de la patrie », au travers d’une success story. « Il ne reste plus aux Suisses qu’à s’affiner un peu le goût, mais voici qu’ils ont déjà des artistes, et nul doute qu’ils ne finissent par avoir un art », chroniquait Léon Dussert en 1889. Cent trente ans plus tard, gageons que les temps sont venus.