Berlinale : vache maigre pour l’Ours allemand, ou quand Israël sauva Berlin

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Cette année marquait la 69e édition du festival du film international en Allemagne, la célèbre Berlinale. Si son âge évoque l’érotisme et l’insolence, son contenu était tristement banal et en deçà de ce que l’on est en droit d’attendre d’un festival de cette envergure.

Quatre cents films toutes sélections confondues, quinze en compétition pour le fameux Ours d’or, il semblait évident que nous allions avoir peine à choisir entre les chefs-d’œuvre proposés, mais non. Les scénarios cousus de fil blanc, les « pourquoi avoir fait ce film maintenant » restés sans réponse, les réalisations pauvres et dénuées de réel message, la subjectivité quasi absente, les demi-heures inutiles en pagaille et tant d’autres incohérences successives ont fait de ce festival une immense déception.

Dieu (ou qui que ce soit d’autre) bénisse cependant Emin Alper, le réalisateur turc qui signe cet envoûtant « A Tale of Three Sisters » (« Conte de trois sœurs ») situé au cœur des hauteurs anatoliennes, où tous les ingrédients d’une histoire bien ficelée participent à insuffler à ce film ce que le spectateur vient chercher en prêtant quelque deux heures de sa vie à l’œuvre d’un autre humain pour qui le temps est aussi sinon plus précieux : un peu de magie. Chaque recoin de cette œuvre est empreint de beauté, de la réalisation à la lumière en passant par la musique ou le jeu d’acteurs, mais surtout l’histoire, une histoire d’amour sous toutes ses formes et spécialement d’espoir, si crucial dans la Turquie d’aujourd’hui.

Justice doit être faite également à ces films de grands espaces, où la nature semble être devenue le seul refuge pour l’homme du xxie siècle. Que ce soit dans l’opus en compétition « Out Stealing Horses », du Norvégien Hans Petter Molland, ou « Light of My Life », en sélection Panorama de l’inclassable acteur-réalisateur-scénariste Casey Affleck, la nature abrite les doutes, les peurs et les questionnements multiples de personnages pour le moins complexes et développés.

Casey Affleck et Anna Pniowsky dans « Light of My Life », de Casey Affleck

Quand Casey Affleck nous livre une histoire de relation père-fille, il y injecte de réelles pistes de réflexion sur la place des femmes dans une société essentiellement masculine. Que deviendrait l’humanité sans ses femmes, quel individu deviendrait homme si son genre était seul sur terre, sa survie même dépendrait-elle de celle de la femme ? C’est avec ses tripes qu’il dirige et joue, et si la scène d’ouverture dure une dizaine de minutes, nous offrant deux valeurs de plan tout au plus, l’humble point de vue est magistralement annoncé dès le départ : je fais comme je sens et tant pis si cela ne correspond pas aux codes. « Je n’avais pas de but particulier en faisant ce film, c’est parti de conversations nocturnes que j’avais avec mes fils et qui généraient des réflexions intéressantes. Je voulais simplement créer un sentiment de réelle intimité entre Anna (Pniowsky) et moi en nous faisant apparaître ensemble au même plan le plus possible. Je crois qu’au final, c’est un film sur la notion d’équilibre. »

Louise Chevillotte, Tome Mercier et Quentin Dolmaire dans « Synonymes », de Nadav Lapid

Si de tels objets sont passés presque inaperçus dans cette Berlinale de l’ennui, c’est pour malgré tout laisser la place au grand gagnant, « Synonymes » (en salles le 27 mars), de l’Israélien Nadav Lapid. Si la critique est mitigée sur cet objet d’art aux accents godardiens, impossible de ne pas saluer Lapid pour avoir utilisé toute la subjectivité manquante dans la plupart des œuvres de ses concurrents. Dans « Synonymes », il se raconte nu en filmant les sensations de Yoav (son propre personnage) plutôt que ses actions. « Synonymes », c’est l’histoire de sa décision, au début des années 2000, d’enterrer Israël et sa langue pour vivre et mourir à Paris. Ces acteurs qui jouent à mal jouer, cette narration intime aux limites du possible, cette ode assumée au plus grand perdant de l’histoire, oser raconter Hector plutôt qu’Achille, parler de courage et de lâcheté quand ni l’un ni l’autre ne sont jamais vraiment définis dans le monde, fuir ce que l’on pense être, se persuader d’être ailleurs, revenir à ce que l’on est, victorieux d’avoir fait avec ce que l’on a, le bon comme le mauvais. Voilà bien le minimum que l’on a le droit de venir chercher au cinéma, une histoire universelle et intemporelle, racontée, encore et toujours, avec son ventre.