“Lou” de Mickaël Phelippeau

Temps fort du calendrier culturel brestois, le festival DañsFabrik s’est déployé cette année du 2 au 7 mars dans les principaux espaces culturels de la ville, donnant la part belle à la scène performative belge et au dialogue entre la danse et les arts plastiques. D’apparence composite, la programmation de cette neuvième édition déclinait une thématique principale : celle de la déconstruction, manifeste dans la décomposition et la transformation des corps, ainsi que dans le déplacement des codes et le dérèglement des mouvements.

Fascinée par le caractère labile de la matière, la plasticienne Gwendoline Robin scrute la dimension métamorphique des corps solides et liquides dans une performance conçue autour du thème de la gravitation (« Gravitation 6899 »). Passant de la combustion de la glace carbonique aux volutes d’une fumée doucement adressée aux spectateurs, Gwendoline Robin nous embarque dans un paysage lunaire en mouvement perpétuel, empli de paillettes effervescentes, de bouillons crépitant, et de cylindres en verre fracassants.

Dans la continuité de ce travail plastique, le festival était aussi l’occasion de découvrir la dernière création d’Olivier de Sagazan. Avec « Ainsi Sois moi », le metteur en scène s’emploie à faire résonner nos angoisses contemporaines dans un spectacle où les corps se frottent à leurs limites, tantôt puissants et monstrueux, tantôt misérables et exsangues. À bout de souffle, les six performeurs aux visages enfouis sous l’argile nous embarquent dans d’inquiétants tableaux, où les modèles des toiles de Francis Bacon semblent prendre vie, tantôt tordus de douleur ou perclus de plaisir, déformés, dépecés, défigurés. La sensation d’étouffement et de délitement des corps est communicative, par sa force de révélation d’une animalité et d’une violence sourdes, qui sévissent à tous les niveaux de notre corps social, et contaminent les derniers espaces de liberté.

Cette édition était également ponctuée d’instants de poésie suspendue, comme « The Gyre » de Tumbleweed, travaillant l’hypnose de la répétition à travers une marche chronométrée et millimétrée, ou le « Piano works Debussy », interprété par Lisbeth Gruwez et Claire Chevallier, qui explorent l’effacement des frontières entre la musique et le corps en mouvement.

La plus belle métamorphose de ce festival s’incarnait cependant en « Lou » de Mickaël Phelippeau, superbe réflexion sur la transmission des codes de la danse baroque, son tracé et sa survivance à travers les âges, jusqu’à devenir un langage chorégraphique contemporain. Le spectacle, écrit pour la fascinante Lou Cantor, fille de la chorégraphe baroque Béatrice Massin, mêle récit autobiographique et écriture chorégraphique, histoire de la danse et parcours individuel. D’une sobriété efficace, la pièce se décline autour d’une phrase musicale des « Folies d’Espagne » de Lully, décomposée et recomposée au plateau. “Lou” nous offre le spectacle émouvant d’une interprète qui se construit, grandit et s’émancipe par le mouvement, aussi codifié soit-il, pour créer sa propre geste, guerrière et libératrice. À l’instar du jeune Roi Soleil, qui utilisait la danse comme manifestation de sa splendeur, Lou incorpore ce langage chorégraphique patrimonial et l’anime d’une flamme nouvelle, celle d’une femme puissante, véritable joyau brut.