(c) Chai Xiaoyu, « Fish Park »

Du 24 janvier au 4 février 2020 se tenait la 3e édition du festival de cinéma d’auteurs chinois. A cette occasion, l’équipe du festival a investi, en plus du traditionnel Studio des Ursulines, le musée Guimet. La programmation, riche de son éclectisme, fait se côtoyer de grands noms du cinéma chinois (Lou Ye) et des premiers films, souvent auto produits (« Fish Park »…). Les films proposés, s’ils inquiètent en posant des questions nécessaires, dévoilent une scène cinématographique fourmillante et féconde.

Organiser un festival de « films d’auteurs » (terme qui, en lui même, fait couler beaucoup d’encre) c’est risquer d’échouer sur un écueil : celui de la forme absconse, qui se complaît et mire son propre reflet par condescendance. Ici, les réalisateur.ices (puisqu’il faut saluer les diverses voix féminines présentes tout au long du festival qui modifient aujourd’hui profondément l’horizon cinématographique chinois) semblent motivé.es par d’autres urgences. Les mêmes problématiques s’entrechoquent, composant une mosaïque inquiétante d’interrogations formelles et politiques.

Parmi celles-ci, revient, comme une ritournelle, la question de la famille, de l’héritage, de la mémoire et de l’Histoire. La loi sur le contrôle des naissances a pris fin en 2015. Les auteurs, très jeunes pour la plupart, ont donc tous grandi à l’intérieur de cette politique chinoise si particulière, à travers laquelle percent encore aujourd’hui les soubresauts des années maoïstes. La parentalité, les relations familiales, tissent la longue toile de fond d’une interrogation plus globale sur le corps (on connaît l’importance du corps et des vêtements dans la politique médiatique et charismatique de Mao Zedong) et sur les systèmes politiques qui permettent son enfermement.

Le film « Fish Park » de Chai Xiaoyu dresse le portrait d’un dandy, occupé à regarder nager ses poissons, flânant dans les hutong pékinois couturés de travaux. Le film, assourdi par le soleil chaud et laiteux de Pékin, est presque un huis clos, centré sur l’appartement où se bousculent une jeunesse chinoise, des cafards grouillants et l’autel réservé à l’aïeul, que le protagoniste salue en éteignant sa cigarette. Avec légèreté, la caméra finit par créer une analogie entre l’aquarium et l’appartement. Les poissons se tournent autour en nageant, légers et diaphanes, se heurtant sur les bords de la vitre. Se dessine alors une poétique de l’intime et de l’ordinaire où arrive, par bribes, l’orage du dehors, et toutes les injonctions sociales qu’il transporte avec lui. L’appartement, au milieu de la ville, apparaît comme un îlot de résistance fragile, lieu des possibles de la trahison, de l’amour et de la musique (on retiendra les scènes magnifiques où Yanyan s’entraîne au violon lumière éteinte).

Le pari du festival semble être moins de permettre un nouveau regard sur la Chine des années 2010 que de proposer un réservoir nouveau d’images en mouvement, de lumières… bref, de manières de faire du cinéma. Alors, on ne peut que saluer l’initiative d’Allers-retours, et reconnaître, une fois de plus, l’intérêt imaginaire, et donc politique, de donner à voir des formes cinématographiques courageuses qui luttent, non pas pour faire entendre un message, mais une voix et des esthétiques nouvelles.