Les “Nuits de Joux” font partie de ces festivals d’été qui se donnent pour magnifique mission de faire du répertoire dramatique, classique et contemporain, un bien populaire. Crée à Pontarlier en 1974 par un groupe d’amateur-rice-s, l’événement est dirigé aujourd’hui par un artiste professionnel, Damien Houssier, qui retrouve chaque année des comédien-ne-s et des technicien-ne-s de choix. Épaulé par les bénévoles du C.A.H.D (Centre d’Animation du Haut-Doubs, présidé par François Roizot), cette manifestation met l’acteur-rice à la fête.

Si ces nuits tiennent du songe, c’est parce qu’elles libèrent les artistes de tous les impératifs habituels d’une logique créative. Ici, comme l’explique Damien Houssier, “il ne s’agit pas d’être prêts mais d’être au rendez-vous.” Et pour cause, trois des spectacles présentés sont crées en à peine un mois. Ces modalités remettent alors l’acteur-rice à l’état naissant, comme s’il retrouvait le goût de l’expérimentation et du risque qu’il avait remisés depuis l’école. D’ailleurs, c’est en fin de saison que les interprètes choisissent collectivement les œuvres de l’année suivante, devançant le choix d’un-e metteur-e en scène. “La Vie de Galilée”, biopic brechtien qui envahit les fenêtres et les étoiles du château de Joux, en est la preuve. Le choix de mettre en avant quatre femmes est opérant pour destituer la misogynie brechtienne, même si l’on regrette que la protagoniste soit d’abord masculinisée. Nul déplacement n’est arrêté et la langue galiléenne respire au bon vouloir des interprètes, qui la maîtrisent si bien qu’ils peuvent se permettre toutes les improvisations. Seule compte la force d’un groupe humble et virtuose qui, par son savoir faire et ses trouvailles performatives, nous fait éprouver le pur miracle du théâtre. Alors, nous laissons gaiement nos exigences formelles au pont-levis. Nous avons compris tout de suite ce que cherchaient ces artistes : retrouver dans la chaleur (relative) de l’été le pur goût du jeu, où la tentative règne en énergie maîtresse.

Un autre spectacle, présenté en salle, emblématisait cette philosophie carnavalesque. Une commande cette fois, faite à un metteur en scène extérieur (Philippe Calvario) pour éviter, comme l’explique Damien Houssier, que le festival se conforte dans cet épicurisme informel qui fait son charme. Nous mesurons alors, en observant le public clairsemé mais ravi, que proposer un Viripaev dans un théâtre habitué aux divertissements michalikiens n’est pas un mince pari de programmateur. Mais quel plaisir d’observer cette troupe et ce metteur en scène (on ne citera que Pierre-François Doireau, toujours grandiose, Pia Lagrange, Ariane Heuzé ou Damien Houssier lui-même) s’emparer aussi finement du chef-d’œuvre cocasse et métaphysique du dramaturge russe. La nuit capiteuse que la pièce met en scène, où certaines lois du langage s’effondrent et où d’autres s’inventent, où la petite voix divine murmure à l’oreille des rustres, raconte quelque chose de cet événement. Car Viripaev, et Calvario avec lui (qui pourrait toutefois éviter certaines grivoiseries envers le corps féminin), ne montrent pas autre chose que la puissance de l’acte et du jeu dans un monde déserté par le sens et la transcendance. S’ils ne veulent pas être des évanjélistes du théâtre, les veilleur-se-s de Joux  parviennent bien à en réveiller la sacralité la plus joyeuse. Alors, si les nuits sont froides à Pontarlier, elles sont claires et porteuses de lumières.