© Gwendal Le Flem

Sur la modalité d’un spectacle d’école, celui de la promotion 10 du Théâtre national de Bretagne, Mohamed El Khatib conçoit une réjouissante performance ancrée dans le réel des jeunes comédiens, autour de la relation à leurs parents.

Le pari était casse-gueule : développer un objet scénique autour d’un patchwork documentaire de courts témoignages prélevés et reformulés par chaque comédien à propos de leur père ou leur mère. Anecdotes drolatiques issues de l’enfance, épisodes de maladresses ou de reproches, questions refoulées ou encore en suspens sur leur sexualité… : autant d’irruptions brutes et directes dans l’intimité de familles dont on ne connaîtra que ces bribes. On en postule l’authenticité, mais c’est le parti pris déterminant d’El Khatib dans toutes ses créations que de brouiller les pistes, de décupler les effets d’immédiateté en incorporant les comédiens eux-mêmes, amenant par exemple ceux du bouleversant « C’est la vie » à évoquer la mort de leurs propres enfants. On pourrait considérer comme un stratagème indécent cette façon d’instrumentaliser l’intimité des autres, mais ce qui se crée dépasse complètement le procédé de sa construction.

Si le résultat fait théâtre, c’est que le drame qui s’y déroule est d’abord celui de la parole, celle qui est dite et celle qui est tue, et c’est bien autour d’elle que se nouent les points nodaux de toutes les relations familiales. Déclinée ici dans toutes ses dimensions – ritualisée et ancrée dans le quotidien ou surgissant de nulle part, exprimée de vive voix, par messagerie téléphonique ou par Zoom pendant le confinement –, la parole touche juste et nous atteint à l’os parce qu’elle est aussi, à un endroit ou un autre, la nôtre. Les dix vingtenaires du TNB, dont on sent l’enthousiasme dans cette prise de risque ludique, ainsi que leurs parents jouent le jeu de l’exploration psychanalytique et de la représentation sur un plateau des fragments de leurs autoportraits. Au-delà de d’un moment d’expression créative et drolatique, « Mes Parents », par sa simplicité et sa franchise, devient un geste d’échange générationnel, un transmetteur d’ondes empathiques. Ce qui aurait pu être un exercice de style exagéré ou, à l’inverse, tiédasse, réussit la difficile transformation d’un matériau impudique en une création scénique légère et émouvante.