(c) Takashi Orikawa

La scène ressemble à une petite boîte divisée en deux compartiments, dont l’agencement restitue, avec une méticulosité de miniaturiste, les intérieurs de deux « familles » voisines. A gauche, un groupe de pêcheurs, hâbleurs et ripailleurs. A droite, une grand-mère sénile, dont s’occupent avec plus ou moins d’abnégation son fils dévoué et sa petite-fille adolescente. Une cloison fine sépare ces deux microcosmes. Mitoyennes, ces deux alvéoles confinées partagent plus qu’il n’y paraît : un sens paisible de l’adversité, qu’incarne leur manière commune de laisser s’écouler le temps, sans discontinuité autre que la préparation des repas et de la vaisselle. Tanino installe sur scène la litanie des jours ordinaires, leur torpeur silencieuse, qui semble convenir à tout le monde. On est pourtant d’abord maintenu à distance de ce quotidien, à la fois intime et sociologique, des personnages : est-ce l’hyper-réalisme de la mise en scène, qui déclenche un étrange effet-vitrine, nous transformant en spectateur-entomologistes malgré nous ? Le jeu des comédiens – déférence extrême, esclaffades caricaturales – conjugué au cadrage nécessairement ras du tatamis, composent un ensemble scénique par endroit quelque peu trop conforme à une certaine image mentale japonaise. Progressivement, d’infimes variations adviennent : la lumière change d’intensité, certains personnages s’affirment, d’autres s’adoucissent, quelques liens se créent, avec l’évanescence d’un tempura dansant dans l’huile, d’une fraîcheur que Barthes qualifiait d’aussi fragile que vivante, celle des transformations silencieuses. L’émotion naît de l’humilité avec laquelle ces solitudes semblent ne rien chercher, ne rien combattre. Notre regard se déplace vers ce qui n’apparaît pas. On préfère n’y voir aucune morale de conte contemporain : à peine y a-t-on aperçu une autre consistance du temps, s’écoulant comme un élément liquide – et c’est au bord de l’eau que se tient cette Forteresse du sourire.