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Ce trio de créateurs fantasques produit une oeuvre étrange dont le sens semble se dérober plus l’intrigue se déploie. Trois pianos blancs en farandole lancent la machine, les notes folles et entêtantes des compositions de Philip Glass percutent et ne lâchent rien, ni de l’aridité, ni de la virtuosité du geste. Il y a ensuite la transposition proposée par Phia Ménard ; exit les enfants, bienvenue aux retraités, retirés dans leur donjon-EHPAD dont les cours d’origamis du jeudi représentent l’acmé de leur semaine. On troque les drogues contre des lunettes 3D et voilà notre mauvaise troupe dans de nouveaux paradis artificiels. Est-ce à dire que l’époque contemporaine et ses multivers accessibles corrompt les âmes comme jadis le LSD ? Certes, le rapport au jeu, à l’imagination enfantine, sied aux esprits hagards des personnes âgées qui, perdues dans le monde actuel, se réfugient parfois dans des trésors cachés, des maisons à rallonges ou des batailles de boules de neige. Nier le réel reste un biais efficace pour rester vivant et Cocteau – repris par Glass – tresse un sentier parallèle qui offre aux esprits de tous âges une échappatoire salvatrice. L’auteur intervient d’ailleurs en personne dans un interlude rétro-futuriste savoureux incarné avec légèreté et esprit par Jonathan Drillet. Si dans la mise en scène, la première partie de la pièce tient dramaturgiquement dans cette maison de retraite, la seconde, plus métaphorique perd en pertinence et donne le tournis. Les imposants costumes de contes de fées colorent l’univers onirique pourtant inquiétant qui se développe sur scène, mais les diverses plateaux qui tournent sans discontinuer nous entraînent dans une ronde éprouvante pour notre équilibre et diluent le suspens dans une légère nausée. La scène finale balaie toutes ces réticences et les quelques instants de silence, dramatiques au sens de théâtraux, donnent enfin une épaisseur métaphysique à cet opéra revisité. On aime Phia Ménard quand elle s’expose et quand elle propose des esthétiques au cordeau au service d’un propos nécessaire ; ici, on comprend que malgré les bonnes intentions, l’opéra est décidément un genre difficile à radicaliser.