©Pierre Planchenault

Il est difficile d’écrire sur l’ensemble d’un festival lorsqu’on a pu assister qu’à une infime partie de la riche programmation proposée, pour la vingtième année, par Jean-Luc Terrade. Plus encore que lors des deux dernières années (que nous avons eu la joie de couvrir), l’équipe du Festival Trente Trente a décidé de revenir aux fondamentaux non seulement de ce qui justifie son existence, mais aussi de ce qui constitue son essence.

Les formes courtes, engagées et expérimentales ont toutes – du moins pour celles que nous avons pu voir – pour objet de tracer des frontières qu’elles se plaisent à transgresser immédiatement. Les parcours dans différents lieux de Bordeaux, de la métropole et de la région dessinent la géographie d’une pratique artistique que la censure et l’autocensure ne cessent d’appauvrir en d’autres lieux. Le débat sur la liberté d’expression et la censure nouvelle a ainsi bien mis en évidence les structures de domination qui s’installent de manière insidieuse depuis plusieurs années et qui obligent les artistes à s’autocensurer et les programmateurs de salle à hisser la voile du compromis permanent afin d’éviter l’écueil du politique. Trente Trente, même si Chaban-Delmas n’est plus depuis bien longtemps, est et demeure un ovni dans le champ d’exploration artistique bordelais, que ce soit en danse, performance, théâtre ou cirque. Les artistes y créent visiblement en toute liberté et le mélange fructueux entre étapes de travail et pièces achevées laissent au spectateur une réjouissante impression de vitalité et d’énergie. Arnaud Saury et Manuel Coursin (Mathieu Ma Fille Foundation) profitent ainsi du festival pour poursuivre leur odyssée radiophonique dans une maîtrise parfaite des éléments techniques et des réactions du public. Dans un autre genre, nous avons assisté avec plaisir aux étapes de travail d’Abdulrahman Khallouf interprétant son texte « Le Soldat orphelin » avec le danseur Jean-Philippe Costes ou bien de l’artiste iranien Afshin Ghaffarian proposant une création dansée inspirée de « Quatre heures à Chatila » de Jean Genet. Même si les sujets sont graves, lourds et puissants, même si la mort rôde sur le plateau et nous laisse pantelant, se dégage pourtant de tout cela une joie libératrice.

Là où le politique a échoué à réveiller la Belle Endormie, Trente Trente nous rappelle, année après année, édition après édition que Bordeaux, au mois de janvier, peut encore être à l’avant-garde et faire la nique à la censure, qu’elle soit ancienne ou nouvelle.