J’écris du théâtre pour que les autres viennent écrire sur moi. Je veux dire pour l’addition de toutes ces écritures : celle du metteur en scène, celle des acteurs, celle des techniciens, pour me heurter à la fin de cette chaîne humaine, à celle du public. J’aime l’idée de mouvement de l’écriture théâtrale, la possibilité qu’elle ne se déploie qu’après l’auteur, dans le travail de répétition, la perspective qu’elle ait besoin des autres pour exister. Simplement exister.
J’ai besoin qu’elle se cogne au monde. À tout ce monde-là. Pour en regarder les bosses, les chaos, les lumières. Pour la donner à voir. Je suis touchée par la nécessité que le théâtre a de se trouver des corps, de circuler d’un corps à un autre, de « se passer » d’une bouche à l’autre, d’une main à l’autre. La lente chorégraphie des âmes sans vêtements et des langues libres : voilà ce que m’évoque le théâtre. Je ne me suis pas demandé si j’écrirais du théâtre, je m’y suis consacrée. Simplement consacrée. Parce que je n’avais pas d’autres choix. Parce que c’était vain un peu, mais peut-être pas. Parce que je pouvais y être planquée, à l’abri sur mon fauteuil, au milieu des autres et pourtant protégée d’aucun sentiment, d’aucun choc, à l’écoute, tendue vers une parole.
Le théâtre, c’est la possibilité du présent, le quatrième mur en est le regard. Il y a cela : être là maintenant, dans son temps, dans son siècle, tenter le vertige de se convoquer tout de suite et pas demain, pas quand j’aurai le temps. Écrire du théâtre, c’est une manière d’être dans son monde, mais profondément ancrée dans « Le Monde ». Être auteur, c’est devenir plus qu’une femme, une fille, une nana, c’est écrire. C’est être tout à la fois, tout le temps. Je n’aurai pas pu faire autre chose. C’est certain.
Le quatrième mur, je le redoute évidemment, je ne me dis pas « Et si ça n’arrive pas jusqu’à lui, et si je croise cette surdité “pratique” parfois, et si la pièce ne suffit pas, ne suffit jamais, et si… ». Puis j’y retourne tout le temps, non sans peur, mais avec conviction, j’y retourne pour le regarder dans les yeux, le quatrième mur, et être sûre de mon geste. Assumer l’acte de mettre de l’eau au moulin et au théâtre de juste là, pas à côté, juste là, devant, maintenant. Pour ne pas écrire sans conscience. Pour définir les contours de ce qu’il reste à dire, de ce qu’il est viscéral de mettre en mots.
Je n’ai pas vraiment le choix avec le théâtre. Cela m’aide à comprendre quelque chose et je ne sais pas quoi. Ça met de la clarté dans mes bazars. Je tire sur des ficelles et, contrairement à la fête foraine où je n’attrape jamais la grosse peluche au bout, là me vient toujours une variation sur les choses humaines. J’ai l’impression que je gagne quelque chose, mais c’est vrai, ce n’est pas tangible.
Le théâtre est mon unique manière d’être liée souterrainement aux autres hommes, et le quatrième mur est la porte qui s’ouvre sur leurs visages.