"Que demande le peuple ?"

Réponse de Flore Lefebvre des Noëttes

Les spectateurs sont du côté du monde des vivants, les acteurs, eux, ayant passé l’Achéron, se retrouvent au monde des morts, de l’autre côté du miroir. Dans le théâtre subventionné, généralement, les acteurs incarnent des textes d’auteurs morts, c’est une parole à faire revivre, la représentation elle-même a un côté figé dans une forme qui a sa finitude, elle a donc quelque chose à voir avec la morbidité.

Les coulisses enfin sont le lieu des morts vivants, pas encore tout à fait personnages, les acteurs glissent sans faire de bruit, circulent comme en apesanteur, répétant inlassablement leur texte en le mâchant, en le chuchotant, à tue-tête, pour qu’il ne leur échappe pas, se balançant nerveusement, faisant des allers et retours comme des lions en cage, faisant de grands gestes silencieux, marmonnant des choses indicibles et inaudibles, ils se demandent si le corps est bien là, si la voix est bien là, si les mots sont bien là, si tout ce qui a été répété pendant des mois sera bien là, est déjà bien là, quelque part autour d’eux, en eux, les acteurs semblent à ce moment en transe, dansant comme des ours pour attraper des étoiles, ils sont en lutte, en lutte aussi une fois entrés dans l’arène, l’acteur devenu guerrier du verbe incarné doit gagner une bataille : la représentation. Il y mettra toute son âme, tout son corps, il s’y est préparé toute la journée, y aura pensé toute la nuit, il a endossé son armure, il a aiguisé son épée, il se jette furieux dans la fosse aux lions ! Tout est noir en face de lui, l’ennemi est là, tapi, l’environnant, alors il attaque, rugit, donne de l’épée, combat courageusement et avec joie aussi, il exulte, exalte le verbe en pleine lumière jusqu’au bout, il tranche, tue, taille dedans, donnant du corps. La pièce finie, la bataille gagnée, vainqueur, il est remercié, il remercie lui aussi le public en le saluant. L’acteur retourne au monde des ombres, fatigué, lassé, cependant encore exalté et excité. Il se parle à lui-même ou bien à ses fantômes, se critique, revoit la bataille, pense à ce qu’il aurait dû faire… Son corps est lourd, sa voix est fatiguée, il va rentrer se reposer pour le combat du lendemain… Il va dormir, dormir, rêver peut-être…

« Nous sommes faits de l’étoffe des songes et notre vie minuscule est environnée de sommeil. »