"Que demande le peuple ?"

Réponse de Pierre Notte

« Étant donné… »

Une exigence de spectateur

Impossible d’aller prétendre ça, que cela n’a pas d’importance, ce qui s’y passe, sur le plateau. Certes, bon, oui, d’accord, très bien. On ne va pas (on n’ira pas) par là, cela a son importance. Mais ce qui compte, au bout du compte, je dirais ça, ce qui compte est de l’autre côté. Tout compte fait. L’autre côté des autres, de ceux qui regardent, attendent que le miracle arrive, advienne, ceux qui écoutent, qui se renseignent sur eux-mêmes, jouent avec ceux qui jouent, s’emmerdent à crever parfois, ou vivent, revivent, font leur chemin de croix, seuls, à deux, ensemble, mais isolément toujours, chacun dans son intelligence des êtres, des autres et des choses, dans cette forêt de la proposition, chacun fait son chemin. Chacun seul et ensemble, c’est l’idée rêvée d’une collectivité qu’on voudrait plus métissée encore, où chaque individu trouverait sa place. Ce qui compte, je dirais ça, c’est ce qui se passe là, qui arrive ou n’arrive pas, dans ma tête et mon corps de spectateur face à l’œuvre qui fait travailler mon corps et ma tête, ma mémoire, mon imagination anéantie par l’usure et la consommation molle, ma liberté d’éprouver (ainsi assis, inactif, impassible en apparence) un monde offert – poème, épopée, discours, paysage, portrait, voyage. Face à l’œuvre, comment je travaille. Comment j’œuvre, spectateur, comment les outils me sont remis pour refaire, comprendre, transcender le monde, y vivre mieux après qu’avant. Comment le langage d’une paix sociale, d’une possible entente entre les êtres, entre soi et les autres, d’une réconciliation entre les membres de clans semblables ou de tribus opposées, comment ces outils-là sont donnés, comment les armes sont forgées derrière nos yeux devant tout ce qui se passe là, d’un apaisement, ou d’un nouveau combat à mener pour une amélioration du monde, quitte à n’avoir affaire qu’à son embellissement, même un instant de rien, le temps même d’une rêverie s’il le faut. Je dirais ça, que ce qui compte au fond, c’est ça, et qui fait de ce travail, art d’amateurs, poème de professionnels, ratages permanents ou splendeurs touchant au sublime, ce qui compte au fond c’est le chemin parcouru là-dedans par celles et ceux qui sont de l’autre côté, seuls et rassemblés dans ce qui reste au moins comme un refuge, qui devient parfois un lieu d’accomplissements miraculeux. Le chemin parcouru, c’est celui pendant lequel sont forgées les armes d’un langage qui se substitue à la violence, à l’impulsion sanguine, bovine, à la réaction primitive, binaire, primaire ; sont forgés les outils qui éclipsent la bêtise et l’ignorance. L’éducation et la culture, leur lot d’action culturelle, de sensibilisation, doivent être pour ça, une priorité dans la bataille contre la résurgence de la bestiole barbare.