Je crois que j’ai dû poser cette question à mille et une reprises, enfant. Vapeurs de jeunesse, vacances familiales, longs trajets en station wagon aux parois extérieures de bois, avec mes frères et ma sœur, entassés les 4 sur la banquette arrière en cuir beige, 1984-85-86… Destination Bas-du-Fleuve, terres maternelles, comme à chaque été nous nous y rendions. Quand est-ce qu’on arrive ? d’une petite voix, enthousiaste et impatiente, puisque je ne savais trop l’itinéraire de notre destination… Visions imaginées de campagne, de maison qui craque, d’odeurs qui bercent et probablement de créatures fantastiques cachées dans la forêt… Curieuse, naïve, cette voix devait tellement impatienter mes parents après 50 fois, surtout que ce n’était pas la dernière. Quand est-ce qu’on arrive ? Temps dilaté. Temps de famille, jujubes à la main, chaleur intense, nous étions 6. Enfant heureuse. Impatiente d’arriver. Mais je ne savais où. Encore moins pourquoi. Pas grave, j’étais si volontaire dans ce bonheur à venir. Dans ma tête, tout était là. Elle était remplie d’espoir et d’inconnu, de ce futur si proche, qui ne serait jamais comme je l’imaginais. Mais je savais que ce qui approchait en valait le coup. Jeune pousse j’étais, si pleine de désir. Et j’avais raison.
Je réfléchis maintenant à cette question, me ramène à cette douce nostalgie… Eh bien, je me dis que je n’ai peut-être pas vraiment changé. Je réalise que je la pose encore, cette question, de moi à moi. Quand est-ce qu’on arrive, Anne ? Encore curieuse, enthousiaste et naïve, un peu moins maintenant, mais toujours rêveuse et imaginative, dans l’expectative d’arriver enfin à ce moment encore non avenu qui dans ma tête vit doucement, fantasmé. Chaque jour, dans la création, j’y crois. Je choisis d’y croire à répétition. Peut-être que je n’y arriverai pas. Ce n’est pas très grave. Peut-être que ça m’emmerderait d’y arriver, au final. Je choisis de croire à ma vision futuriste qui pourrait faire en sorte que j’arrive, mais peu importe la destination et peu importe si j’y parviens. Je crois. Je fantasme sur ce futur et j’avance, je risque. Papa, maman, conduisez tranquille.