A l’heure où l’automne abat sa pluie sur les rues de Paris et son Festival, la Corée du Sud s’impose année après année comme un des lieux de création et de recherche où le soleil brille encore, et voilà qu’il semblerait que cela ne soit pas parti pour s’arrêter. Si Paris regorge bien sûr comme toujours de mille opportunités, Séoul propose à partir de la fin septembre non pas un mais quatre festivals d’importance qui couvrent de façon pour ainsi dire exhaustive l’ensemble des champs du spectacle vivant, et qui, bien que de qualité inégale, permettent aux visiteurs de se faire une idée précise de l’état de la création locale et internationale.
Cette année pour ouvrir la saison automnale, le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Séoul proposait une fois encore un focus asiatique qui se trouve certainement être au fil des ans la proposition la plus intéressante de la période. Sur l’espace de quelques petits jours entre fin septembre et début octobre, le musée choisissait cinq artistes asiatiques pour venir nous présenter leurs dernières recherches. Très inégale et souvent assez opaque – puisqu’à l’extrême contemporanéité des démarches venait s’ajouter un ancrage très profond dans les cultures de chacun des artistes ne permettant pas toujours de saisir au plus près le désir des performeurs –, cette sélection permettait pour autant de se faire une idée de ce que le théâtre pourrait être demain chez nous, et de ce qu’il est déjà parfois ailleurs. Chacune de ces performances avait pour particularité de s’ancrer de plain-pied dans la modernité du technique quand s’alignaient sur scène des robots, des hologrammes ou que le spectateur était amené à revêtir un casque de réalité virtuelle pour suivre la pièce. Comme toujours, le problème essentiel de ces tentatives tient au fait qu’elles nécessitent pour exister de se focaliser sur la mise au point d’une technologie qu’on ne maîtrise pas toujours avec les moyens du théâtre, au détriment souvent de la justification dramaturgique de la technique en question. Pour autant, le japonais Meiro Koizumi proposait à son spectateur, avec « Sacrifice », de plonger de plain-pied dans la réalité quotidienne d’un homme enfermé dans une ville en guerre. Une expérience qui pour une fois ne se résumait pas à faire éprouver le visuel de l’enfer à celui qui le regarde, mais bien à l’impliquer d’une façon inédite grâce à la réalité virtuelle dans une démarche de partage sentimental total. Ou quand il devient clair que certaines technologies ont aujourd’hui encore la capacité de modifier demain une certaine façon de vivre l’expérience théâtrale.
En parallèle des expériences radicales proposées par le Musée d’Art Contemporain, d’autres tentatives démarrent en octobre mais dans une démarche bien plus accessible, à l’image du Seoul Street Art Festival (SSAF) et du Seoul International Dance Festival (SIDANCE). Alors que le premier s’installe dans toutes les rues du centre historique de la ville, le second reste enfermé dans les salles et les institutions, mais leur point commun est le désir de s’ancrer dans une programmation ouvertement internationale et déconnectée des enjeux asiatiques. Cette année d’ailleurs, le SIDANCE proposait de marquer une partie de sa programmation du sceau de la réflexion sur les flux migratoires avec un focus sur les réfugiés. Une démarche évidemment louable, mais qui comme toujours vient frapper d’un biais certaines créations qui n’avaient pas du tout à l’origine l’intention de travailler sur cette question. C’est le cas par exemple de la belle pièce de Pietro Marullo, passée en France dernièrement et qui se présente plus comme une réflexion sur l’inconnu que sur la migration en tant que telle. Au SSAF, la programmation aussi s’ancrait dans une vision internationale de street art, un genre qui pourtant est très fortement installé en Corée du Sud. Parmi les nombreuses compagnies qui sillonnaient les rues de la ville, beaucoup de françaises, avec en invitée d’honneur la compagnie Komplex Kapharnaum, qui avait clôturé le Festival d’Avignon pour sa 70e édition et dont le spectacle marquait ici l’ouverture de l’événement ; un événement convivial qui a pour mérite de faire vivre la ville mais qui malheureusement ne propose objectivement que très peu de projets aboutis.
Enfin, pour clore la virée, c’est au Performing Arts Market de Séoul que les professionnels devront absolument se rendre puisque, pendant une petite semaine, ce sont plusieurs centaines de compagnies et de directeurs d’institutions qui se déplacent pour présenter leurs projets et discuter des enjeux qui traversent le secteur du spectacle vivant. Cette année, le focus portait sur le théâtre européen et ne permettait donc pas forcément au public français de découvrir beaucoup de choses, mais la force d’attraction du lieu pour la profession reste impressionnante et se comprend aussi par la richesse du programme proposé. Pendant six jours, le centre du PAMS regorge de débats, de rencontres et de présentations de pièces qui permettent aux participants de rencontrer aussi bien la direction du Met de New York que les représentants de petites compagnies portugaises. Un événement évidemment réservé aux professionnels, mais qui a le mérite de venir confirmer le désir de la Corée du Sud de compter parmi les acteurs de tout premier plan sur la scène internationale en matière de spectacle vivant. Une ambition qui se confirme d’autant plus que la majeure partie des événements concernés sont directement organisés et financés par le Ministère de la Culture sud-coréen.