La Cour d’honneur, the place to be… or not

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Cour d'honneur

Avec une quarantaine de spectacles programmés dans le IN et près de 1 400 dans le OFF, Avignon s’est en théorie affranchi depuis longtemps de son lieu de représentation symbolique : la Cour d’honneur. Du « Mahabharata » de Peter Brook donné à la carrière de Boulbon en 1985 au « Henry VI » de Thomas Jolly à la FabricA en 2014, l’histoire du festival s’est souvent écrite en dehors du palais des Papes et même au-delà des remparts de la cité.

Mais rien n’y fait, à chaque édition, qu’on le veuille ou non, c’est encore et toujours la Cour qui donne le la. Au menu de cette année, deux grandes créations : côté théâtre « Le Roi Lear », de Shakespeare, mis en scène par le directeur du festival himself, Olivier Py ; et côté danse, « Retour à Berratham », d’Angelin Preljocaj (sur un texte de Laurent Mauvignier). On a vu ce que la première avait déchaîné comme réactions passionnées et polémiques. On verra ce que nous réserve la seconde…

Cette attraction/obsession renvoie aux origines du festival. Dans les premières années, il se résumait à trois spectacles de Jean Vilar, dont le plus important était présenté dans la Cour. Les Avignonnais ne sont pas près de l’oublier. Pour le public local, un spectacle raté dans la Cour d’honneur, à l’ouverture, est considéré comme une offense – « Rendez-nous Gérard Philipe ! » clament les plus anciens.

Qui dit festival international dit présence de médias étrangers. Si les journalistes français restent plusieurs jours, la presse internationale s’invite pour l’essentiel au tout début et ne manquerait sous aucun prétexte le rendez-vous au palais…

Enfin, l’attachement à la Cour tient tout simplement à la magie du lieu, du rite. Magie du spectacle en plein air, de l’attente nerveuse, puis du spectacle qui se déploie entre les hauts murs de pierre traversés par tant de beaux fantômes. Pour les spectacles au long cours, quoi de plus magnifique que de vivre le lever du soleil : pierre teintée d’or, oiseaux tournoyant dans le ciel bleu timide ?

Comment donc « habiter » la Cour sans décevoir ? Un vrai casse-tête… Il y a la manière classique. On se souvient d’un brillant « Scapin » de Jean-Pierre Vincent (1990), d’un poignant « Don Juan » de Jacques Lassalle (1993). Mais à trop cultiver la veine « patrimoniale », on risque de tomber dans la facilité, voire l’académisme.

On peut se payer d’audace et jouer, sinon contre la Cour, du moins contre ses conventions. C’est le pari que fit souvent le couple Vincent Baudriller-Hortense Archambault de 2003 à 2013 – avec les spectacles de Jan Fabre et Christoph Marthaler notamment. Un pari qui peut se révéler périlleux si les artistes iconoclastes ne sont pas au meilleur de leur forme…

La meilleure solution, en définitive, c’est de voir grand. Sans calcul. Sans posture. « Le Soulier de satin » de Vitez (1987), le « Hamlet » de Chéreau (1988), « Le Sacre » de Pina Bausch (1995), plus récemment la trilogie de Wajdi Mouawad (2009) ou « Le Maître et Marguerite » de Simon McBurney (2012) ont fait quasiment l’unanimité parce qu’ils combinaient le grand geste et la force du propos, le plaisir du théâtre et l’exigence intellectuelle.

En gardant à l’esprit qu’un grand spectacle dans la Cour ne suffit plus à assurer la réussite d’une édition. C’est juste un moyen de bien la commencer. Quitte à donner le la, mieux vaut qu’il soit majeur…