I/O n° 43 [édito] : Regarder l’homme qui tombe

couv43Le visage pris dans les filets de la réalité, la jeunesse tombe, dans un éclat de rire ensauvagé et destructeur. Certainement parce qu’« il faut aimer pour détruire », comme le disait Blanchot. Mais alors, le théâtre serait-il une science miracle, orthopédie des âmes prête à nous relever ? Certainement pas. Arrêtons. Arrêtons de fantasmer l’arrivée d’une révolution par l’art, et croyons plus humblement en la rédemption de nos âmes égarées par ce simple mouvement de l’histoire qui nous englobe et nous dépasse. Car « aujourd’hui, toutes les révoltes sont solitaires », comme l’a hurlé Julian Beck en son temps. Non, l’art en général et le théâtre en particulier ne peuvent être l’histoire, mais ils peuvent être cet outil d’acceptation résilient s’ils en épousent les contours, les courbes douces et les angles amers. Pourquoi ? Parce que si le théâtre n’est rien, il reste cet endroit où, l’espace d’un instant, nous pouvons en face et ensemble observer l’envie de vivre insatiable de ces êtres se débattant dans des paysages de mort reçus en héritage. Aussi parce que l’histoire avance, et que depuis Albert Camus, « par-delà le nihilisme […] midi ruisselle sur le mouvement même de l’histoire », et que même si cet optimisme ne résoudra certainement rien, il nous fera au moins accepter la beauté du regard que le théâtre nous permet de porter sur l’homme qui tombe. Comme l’a si joliment démontré Jan Fabre à Lyon le mois dernier, l’échec reste une valeur dont ce monde absurde nous a parfois fait oublier la saveur. Et nous croyons que le théâtre, sans être l’histoire, peut être cet instrument qui fera se raviver nos papilles.