Touch Down

(c) Sol LeWitt

Au milieu des années 1960, alors que Lucinda Childs prend part aux expérimentations du Judson Dance Theater, elle découvre dans le livre de Martha Graham « The Early Years » des croquis qui vont durablement marquer sa pratique chorégraphique. Ces dessins retracent comme sur une carte les déplacements de la chorégraphe saisie sur le vif par l’architecte Arch Lauterer lors des répétitions, durant ses soli. La thèse principale de l’ouvrage, « La danse est une composition animée dans l’espace », trouve dans ces dessins une typologie de lignes (brisées, courbes) correspondant aux différents états émotionnels et aux genres (romance, tragédie) travaillée par Martha Graham. La topologie permet ainsi d’accréditer l’existence d’une forme cachée qui organise l’espace de la représentation.

Dans le portfolio qu’elle publie en 1973 dans « Artforum », Lucinda Childs adapte ces croquis à son propre travail. Ils accompagnent les photographies de Peter Moore et de Hans Namuth et de courts textes présentant sept pièces créées dans les années 1960. Publié au moment où la chorégraphe abandonne les formes performatives, cet article évoque aussi l’écriture minimaliste qu’elle développe à la même époque. En effet, sur les affiches des « Concerts of Dance » du Whitney Museum et de la Dance Gallery, on retrouve des motifs géométriques qui s’inspirent du parcours des danseurs. La représentation topographique dessine ainsi une trame qui malgré la coupure de la fin des années 1960 relie les deux pans de l’œuvre de la chorégraphe.

Mais au début des années 1970, ces dessins ne sont déjà plus seulement une manière de rendre compte de la composition spatiale de la danse. Ils constituent un plan de représentation automne qui s’immisce dans mouvement. Dans « Geranium » (1965), il apparaît à la fin de la pièce, lorsque la chorégraphe laisse ses empreintes sur un carré blanc après s’être enduit les pieds de terre, tandis que dans « Museum Piece » et « Screen » il se matérialise sous la forme de cartes de couleur disposées au sol parmi lesquelles la chorégraphe navigue à reculons à l’aide d’un miroir. Ce plan abstrait apparaît sous le sol de la représentation, et le football américain, qu’aborde « Geranium », exemplifie bien la coexistence de ces deux niveaux. Dans ce sport, l’action se superpose à l’entrecroisement de lignes blanches qui délimite le terrain.

Dès lors, le tournant minimal s’apparente moins à une rupture qu’à la substitution d’un plan par un autre. Si dans les pièces des années 1960 la marche permettait de lier les différentes actions performées, au début de la décennie suivante il constitue le matériau chorégraphique privilégié. Pour générer ces tracés, la chorégraphe va développer une topographie abstraite qui séquence les différents moments de la danse. À partir d’une forme géométrique telle que la rosace, elle isole un, deux, trois ou quatre arcs de cercle. Ces motifs, interprétés par un nombre croissant de danseurs, sont ensuite composés en séquences répétitives, et c’est au terme des répétitions que Lucinda Childs écrit la partition chorégraphique.

Toutefois, si la danse minimale substitue au plan de l’action performative un langage formel, ces danses n’en sont pas pour autant abstraites. La dimension légèrement athlétique de la marche et des sauts relie ces pièces aux expérimentations du Judson Dance Theater sur les gestes quotidiens (pedestrian). Ce n’est qu’au milieu des années 1980 que, invitée par des ballets, Lucinda Childs s’intéressera aux pièces abstraites de George Balanchine.