I/O n° 51 [Édito] Histoire d’une théodicée contemporaine

Imaginons que le théâtre soit la simple monstration d’un aujourd’hui à des gens d’ici. Alors la danse ne serait-elle pas le cri d’injustice poussé aux dieux par ceux qui n’en ont pas supporté la vision ? Il y a en tout cas de cela chez François Chaignaud et Cecilia Bengolea. Chez eux, mais aussi dans toute l’histoire de la danse, tant semble couler dans les veines de ceux qui la pratiquent le sang du divin paradigme tragique hégélien. Comme si le plateau était un des derniers endroits où la figure du coupable innocent pouvait encore s’affirmer. Un lieu où « l’homme tel qu’il aurait dû être » dont nous parle Gitta Sereny n’existe pas. Ainsi dévêtu de ses obligations, le corps de celui qui danse devient la plage où vient mourir la dialectique de l’aveu et de la culpabilité, en même temps que s’installent en lui le bien et le mal, entraînant de facto un dialogue d’égal à égal avec le divin. De là à imaginer le chorégraphe revêtu des habits du juge de nos théodicées contemporaines, il n’y a qu’un pas. Mais assis sur les ravins de la médiocre autoroute des binarités que le monde décide d’inscrire entre les éléments, ne serait-il pas sérieusement le seul capable de juger non plus de notre culpabilité, mais de celle de Dieu ? Une question à laquelle il serait bien aisé de répondre un grand « oui », si I/O Gazette n’existait pas. Car en offrant à vos yeux la possibilité de nourrir votre âme de la pluralité des regards du monde, c’est aussi un peu à l’autoroute des binarités que nous essayons de vous faire échapper.