Quelle place pour l’émergence dans le théâtre français ?

À l’occasion du 2e festival WET, initié par Jacques Vincey au CDR de Tours, qu’il dirige, se pose à nouveau la question de l’émergence théâtrale. La multiplication de festivals dédiés à la jeune création fait débat : ces événements ponctuels s’affichent comme une formidable ouverture des programmations sur le travail d’artistes naissants (qui par ailleurs se monte souvent sans grands moyens dans la précarité) en offrant une vitrine d’envergure aux œuvres d’une poignée de compagnies méritantes, mais ils pointent aussi la peine que ces mêmes artistes éprouvent à travailler et à se produire le restant de la saison. « Solution ou symptôme ? », c’est en ces termes que se posait le débat en 2013 à la Maison des métallos, établissement culturel de la Ville de Paris. S’interroger sur l’émergence au théâtre revient à constater la difficulté persistante de promouvoir et de favoriser la jeune création à l’intérieur et hors des systèmes.

Parmi les jeunes metteurs en scène les plus en vogue du moment, Thomas Jolly a pu présenter un de ses premiers spectacles au festival Impatience avant de voir triompher « Henry VI » (2014) puis « Richard III » (2016) partout en France. Incontestable tremplin créé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe par Olivier Py il y a bientôt dix ans et aujourd’hui assuré par une constellation de théâtres parisiens et de banlieue (Colline, CentQuatre, Rond-Point, T2G), le festival a pour but de faire connaître de jeunes compagnies de théâtre contemporain auprès du grand public et des professionnels (programmateurs et journalistes). Sont éligibles les professionnels ayant entre une et quatre créations à leur actif. Beaucoup des lauréats se sont produits dans des salles nationales – Fabrice Murgia, Prix du public 2010 pour « Le Chagrin des ogres », Chloé Dabert, primée avec « Orphelins », de Dennis Kelly. Nouveauté de cette édition, les gagnants joueront dans le IN d’Avignon en fin de festival.

Cette propulsion spectaculaire paraît risquée voire douteuse, car elle ne porte pas toujours les fruits escomptés. Benjamin Porée, repéré, à vingt ans, dès son premier spectacle, voit son « Platonov » créé en catimini au théâtre de Vanves en 2012 et repris deux ans après aux Ateliers Berthier. Ce transfert d’une petite salle « familiale » à la grande scène d’une considérable institution et les aménagements qui sont inhérents à cette inhabituelle situation ont été fatals. La pièce, qui bénéficiait dans sa première configuration d’une forte réputation, se voit démonter par la suite où le geste est plus fraîchement reçu.

Le metteur en scène, comme d’autres de sa génération, est associé au théâtre de Vanves, qui s’apparente à l’un des plus fourmillants viviers de jeunes artistes pluridisciplinaires. Le théâtre mise sur la découverte autant que sur la fidélité avec une réelle volonté de suivre dans le temps les artistes engagés. Car si la politique du one shot décrite précédemment n’est pas sans conséquence sur la réussite d’un spectacle ou d’un artiste, l’accompagnement d’un objet artistique ou la carrière de son signataire se révèlent être des enjeux de taille qui demeurent souvent méprisés.

Des salles de spectacle comme la Loge ou le théâtre de Belleville dédient pareillement leur espace et leur programme à la jeune création. Ce sont souvent de petites scènes qui ne permettent pas le déploiement de formes nouvelles audacieuses ou sophistiquées. À la simple lecture de la brochure, force est de constater que la politique de programmation se base sur un critère quantitatif prédominant. S’ils revendiquent le fait qu’une grande partie des spectacles sont créés dans le lieu et que les compagnies bénéficient de temps de résidence, il faut reconnaître que les auteurs, acteurs, metteurs en scène diffusés jouissent d’une certaine visibilité indispensable mais ne réunissent pas du tout les conditions d’une production viable. Le festival Wet n’hésite pas quant à lui à ouvrir le débat et offre ainsi aux festivaliers et aux professionnels un temps d’échange nécessaire.