Le raffinement mythique du voyage de luxe en Extrême-Orient peut paraître romantique aux yeux des touristes occidentaux habitués à parcourir le monde plus fréquemment que les banlieues de leurs villes quotidiennes. Viennent en tête des images dixneuvièmiste, de beaux messieurs donnant le bras à de belles dames et pénétrant dans les lobbys des grands hôtels, fiers comme Artaban, grandis par capillarité du prestige des lieux. Force est de constater pourtant que de tels vaisseaux continuent à porter haut leur drapeau et à enchanter leurs hôtes des dorures aux moindre détails.

Posé sur la baie, il est difficile de détacher son regard de la fenêtre, envouté par le mouvement lumineux permanent de la skyline autant que par son impassible stature striant ciel et eau, et qui tente même parfois de faire la nique à la brume. Depuis l’accueil délicat dans la chambre avec thé, fruits et chocolats, c’est la business âme de la ville qui s’offre sans ambages et l’on pourrait croire que grâce à cette contemplation d’après-midi nous en fassions soudainement parti ; la chambre devient très vite un refuge apaisant où tout est pensé pour le bien être de ses occupants éphémères, exposés à la puissance anarchique de la ville, lovés dans un lit immense au confort inégalé.

« La grande dame de Hong Kong » a su comme il se doit s’apprêter selon l’air du temps et se dote avec élégance d’équipements tactiles dernière génération pour commander d’une pression de phalange l’intensité de la lumière, l’ouverture des rideaux ou l’écran plat en face de sa baignoire en marbre. Le plaisir hédoniste se cache dans les détails et chaque porte dissimulée, chaque tiroir de bois précieux livrent une attention, un objet soudain nécéssaire (du sèche-ongle à l’agrafeuse), une raison de plus de prolonger avec volupté le temps dans ce cocon suspendu dans les hauteurs et dans l’histoire. Pourtant, de trésors, l’hôtel en regorge. Ne serait ce que cette piscine évoquant des thermes romains à renfort de colonnes et de gargouille à tête de lion qui offrent un panorama cinématographique sur la city à chaque brasse. Ou encore le ballet incessant des locaux et des étrangers qui se pressent tous les après-midi pour boire le thé dans ce lobby gigantesque et profiter aussi bien des pâtisseries que de la douceur des moulures dorées et des courbes des Botero exposées là à l’occasion des 90 ans du palace. Les esthètes gastronomiques de tout ordre trouvent satisfaction dans un des sept restaurants qui rivalisent d’excellence de la cuisine française du Gaddi’s à la fondue suisse du Chesa jusqu’aux cocktails les plus hype dans le bar branché Felix désigné par Philippe Stark qui occupe le dernier étage.

Mais c’est au Sping Moon fleuron de la cuisine traditionnelle cantonaise, étoilé Michelin, que l’Asie s’impose aux papilles. Dans le très couru lunch set, le chef décline avec finesse et virtuosité une gamme de saveurs tout en onctuosité où les goûts s’affirment amplement accompagnés de thés somptueux préparés par un maître à la table. Un voyage dans le voyage ou mieux une escapade à bord même du bateau.

Il est frappant de constater la fierté du personnel, nombreux et souriant, heureux de perpétuer la tradition et de faire parti, parfois de génération en génération, de l’histoire de ce lieu, passionnément lié à l’histoire de la ville. Pendant les années folles, on disait que le Peninsula était le palace le plus luxueux à l’est de Suez, il est toujours aujourd’hui celui où il est le plus agréable de séjourner.