Cela fait douze ans que le succès ne s’est pas démenti : la pièce de Farid Omri, décédé cette année, cartonne dans toute la France. « Fous rires garantis » nous assure l’affiche. On ne veut pas faire la fine bouche ni commettre une boulette mais, sans être indigeste, le couscous n’est pas royal !
Ils sont heureux et auront bientôt un lardon. Anne-Sophie et Rachid sont ce qu’on appelle un couple mixte. Le prêtre qui les marie, entre deux youyous et deux coupes de « champagne halal », célèbre en eux « le signe fort de la tolérance à l’égard de ceux qui sèment la peur et la haine entre les gens ». Le politiquement correct n’est pas loin et pourtant le spectacle ne s’y conforme pas totalement…
Comme dans les dernières pièces de Feydeau, tout dysfonctionne dans ce couple. On se demande bien d’ailleurs ce qui les réunit tous les deux, tant les engueulades se succèdent. Le sexe ? Pas vraiment. La pièce est étrangement désexualisée et régressive. Dans cet « appartement laïque » comme ils tiennent à le définir, la cohabitation passe par un transfert sur les marques et les animaux – en peluche surtout. Ces grands enfants téléphonent d’ailleurs volontiers à leur maman, ce qui donne lieu à des variations à la Muriel Robin sur le choc des cultures.
Le sujet principal des discussions reste tout de même la bouffe : « Je t’aime comme un gros pot de Nutella » déclare l’homme à sa femme tandis que celle-ci susurre, en lui pétrissant le torse, « mon Charal à moi, c’est mon Rachid ». Cela parle évidemment beaucoup d’alcool et de porc – dernière résistance de Rachid à son occidentalisation : « J’ai souvent vu mon père bourré, mais je ne l’ai jamais vu revenir avec un cochon sous le bras. »
L’auteur sait filer la métaphore charcutière, ose suggérer qu’un voile puisse dissimuler « un boudin », transforme un tapis de prière en vulgaire paillasson. Mais dans son couscous, forçant davantage sur le saindoux que sur la harissa, il ne va jamais non plus très loin dans la subversion. A vrai dire, pour reprendre une de ses trouvailles, on ne sait jamais trop si la pièce est « catho/mane » ou « musul/lique ». Ce n’est ni une dénonciation franche de la société de consommation, ni une condamnation affirmée du repli identitaire, ni même un éloge de la mixité tant on comprend que ce couple ne marchera jamais.
Dans un dispositif façon Maguy – canapé, téléphone, table de cuisine –, la pièce, écrite bien avant les attentats, doit sans doute son succès à sa nostalgie fondamentalement rassurante, faite de tubes consensuels et de culture télé des années 70-80 : Claude François, Maître Capello et autres derniers vestiges de la France universelle. Au fond, « Couscous aux lardons » a bien digéré les bonnes vieilles recettes d’un certain théâtre commercial.
Les dialogues accumulent avec virtuosité les bons mots et, entrelardées de transitions au noir, les scènes s’enchaînent comme autant de tranches de vie. Il faut dire que les deux acteurs, Fouad et Vanessa Fery, tout en assurant l’un comme l’autre un deuxième spectacle dans la même journée, font tourner impeccablement la machine et pataugent dans la semoule avec beaucoup de brio.