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Cela fait cinquante ans que le théâtre immersif tente de timides incursions en France. On se souvient à titre emblématique de la vision qu’en apportait la séquence introductive de “L’Amour par terre” de Jacques Rivette, au début des années 80, dans laquelle Geraldine Chaplin et Jane Birkin interprétaient une pièce en appartement. Depuis trois ou quatre ans, le genre déploie ses avatars avec un succès grandissant auprès du public, comme en témoigne “Memento Mori”.

C’est à Meudon, dans l’hôtel particulier des Erables, que s’est posée l’équipe de 5e Acte, société de production spécialisée dans les expériences immersives. Créé à l’automne dernier, leur projet part d’une passion de l’équipe pour les romans policiers. Une passion qui les conduit à développer un scénario spécifiquement pensé pour un spectacle déambulatoire dans lequel les scènes se déroulent en simultané dans plusieurs espaces. C’est dire comme le caractère in situ de leur création est à la fois source de contrainte et de stimulation. Pour “Memento Mori”, véritable Cluedo grandeur nature – une murder party à cinquante, en somme – ils ont opté pour un découpage en 4 séquences : une introduction assise, en plénière ; une succession de saynètes théâtrales en déambulation mais sans interaction ; l’enquête à proprement parler ; enfin le débriefing collectif avec la résolution de l’enquête. Le tout réparti sur près de trois heures, avec un rythme impeccablement maîtrisé.

Le scénario de “Memento Mori” est somme toute très classique, tant il use et abuse des ficelles narratives agathachristiennes : dans une France des années 1930 encore imbibée des relents spiritistes post-Allan Kardec, la réunion d’un club fictif, le Cercle Vitruve, se voit troublée par la sinistre découverte du corps sans vie de Louis Clerc de Nerra, un type dont on comprendra vite qu’il n’était pas franchement sympathique. Qui, parmi les 7 suspects, est le coupable ? On aura compris que l’objectif du projet n’est pas l’originalité de l’intrigue, mais son déroulement formel. Sa grande force tient à la fois à la simultanéité des séquences (façon Sleep No More), mais aussi et surtout à l’interaction possible entre le public, évoluant librement d’une pièce à l’autre, et les comédiens, interrogeables à souhait. Sans compter le décor, fourmillant d’accessoires réalistes, qu’il est nécessaire de fouiller à la recherche d’indices – à ce stade les spectateurs les plus passifs iront s’ennuyer dans un coin. Comme souvent dans le théâtre déambulatoire, les impératifs économiques gonflent les jauges, réduites, jusqu’à leur point de saturation, au détriment de l’immersion (pas facile de s’investir dans un rôle d’enquêteur quand il y a dix personnes avec soi dans la même pièce), mais de ce point de vue “Memento Mori” s’en sort plutôt bien : il est tout à fait possible de se retrouver seul avec un comédien, et les 7 pièces – peu nombreuses – sont suffisamment grandes (700 m² !) pour optimiser le flux de déplacements.

Au final, s’il ne révolutionne pas le genre, “Memento Mori” est un whodunnit immersif joliment réalisé et qui tient parfaitement ses promesses. Et, contrairement aux intrigues de nombreux polars, celle-ci n’est pas tirée par les cheveux et offre de réelles chances que l’investigation des spectateurs-joueurs porte ses fruits. Certes, il nous aura manqué un brin de folie, et on regrettera sans doute que les comédiens, par ailleurs très justes dans les séquences théâtrales (mention spéciale à Jean-Patrick Gauthier lui-même, incarnant avec brio le commissaire de police), soient plus inégaux dans leurs interactions avec le public. Reste que le spectacle devrait ravir les fans d’enquêtes criminelles qui iront, pour une soirée, conforter la théorie de Pierre Bayard selon laquelle, de “Oedipe-Roi” à “Hamlet”, l’histoire du théâtre se confond avec l’histoire du genre policier.