© Donato Aquaro

Dans l’Enfer du chorégraphe Roberto Castello, le Diable a troqué son Prada pour une combi à paillettes : c’est le mauvais goût qui règne. Jouant avec les codes de la laideur jusqu’à l’extrême, il propose, avec « Inferno », une étonnante métaphore sur les abîmes nauséabonds de la persona. 

Dans « Camping 3 » de Fabien Onteniente (nom qui a l’air d’un concept heideggérien latinisé), plus personne n’attend Patrick. Le protagoniste n’est pas plus branché que le mot branché, et c’est en vain qu’il tente de rattraper la jeunesse qui préfère les grosses teufs au boums karaoké. Bref, Patrick est devenu ringard. Alors à mesure que les plans au drone naviguent entre les emplacements des Flots Bleus, Patrick, déjà passablement attachant, n’a d’autre choix que d’enlever ce qui lui restait de tissu pour se retrouver à nu devant l’inexorable flèche du temps. Sur le côté des teufs, il réalise en effet à quel point l’homo festivus est parfois le comble d’une persona malade : quelle autre mission, pour l’acteur soudain relégué au coin de la salle, que d’imaginer un spectacle utopique ? Dans le cas de Patrick : quid d’une soirée où le désir de reconnaissance aurait plié bagage, d’une nuit où les catégories socio-économiques et les écarts générationnels auraient disparu ?

« Inferno » de Roberto Castello, dans lequel les feux de l’Enfer sont alimentés par le mauvais goût, est un spectacle sur « l’effet Patrick ». D’un côté, les vieux ringards, entre deux rêves de frigo américain, qui vénèrent les disco-paillettes. De l’autre, les bourgeois trendy qui glosent des conneries sur Jeff Koons et cassent leurs cervicales sur de la mauvaise techno. Ils s’enchaînent les uns après les autres sur un plateau qui a le mérite rare d’être à la fois vide et laid : un plein feux bas de gamme (il fallait le faire), quelques accessoires potaches et des vidéoprojections en guise de reminder : on est soit chez les beaufs (des feux d’artifice et des bruitages burlesques), soit chez les bobos (un musée d’art contemporain, où même les oeuvres ont envie de s’enfuir). Chaque danseur a l’air de s’éclater dans l’une et l’autre ambiance, tandis que s’ourdit doucement chez le spectateur un désir, non pas de s’éclater, mais de les éclater, tellement Roberto Castello épuise les danses jusqu’à l’insupportable.  

Bien sûr, dans « Camping 1 », Patrick est du côté des beaufs, des ringards : l’équipe est presque sympatoche, et à choisir, on l’épargnerait pour la simple raison qu’outre offrir des Ricard, ils ont l’intuition de leur laideur. Quant aux congénères sapés en fripe de luxe, à quelques bouquins sur l’art contemporain près (manifestement pas « Ce qui n’a pas de prix » d’Annie Le Brun), cocktail entre une aristocratie naphtalinée et une bande d’hipsters qui digèrent leur trace de trop, ils représentent le monde top tendance. Alors, plutôt capitaliste bas de gamme ou décérébré d’école d’art ? En réalité, à défaut de rejoindre l’un ou l’autre type de soirée, Roberto Castello invite à trouver son Patrick intérieur : pas celui de l’opus 1, mais bien du 3 — celui qui peut prendre du recul sur ses origines, précisément parce qu’il est déphasé de son temps. Celui qui part à la recherche de son anima : si le mauvais goût mène à l’enfer, ne faudrait-il pas enlever son slip social pour aller au paradis, plutôt que de cuver son mal-être avec les « copaings » ? En fin de compte, « Inferno » — spectacle génialement insupportable, on l’aura compris — insuffle chez le spectateur le rêve du nouveau Patrick, le Patrick éveillé : une fois délesté des maléfiques « bonnes vibes » de l’ego, comment inventer des rapports sociaux véritables ?