“N’est-ce donc rien pour vous que d’être la fête de quelqu’un ?”

L’Âge libre

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Les filles de la compagnie Avant l’aube arrivent en groupe, décontractées mais aussi impatientes de parler du spectacle. Pas facile de porter sur scène un regard sur le désir, sur les rapports intimes – amoureux et sexuels –, sans être taxé-e-s de « parti pris genré ». Surtout quand l’équipe est composée uniquement de femmes. Maya Ernest (mise en scène), Agathe Charnet, Lucie Leclerc et Lillah Vial (il manque à la table Inès Coville) sont féministes, mais elles annoncent la couleur : pas de clichés. Question : l’entrée dans l’intimité de l’être relève-t-elle forcément d’un point de vue genré et/ou d’une parole engagée ?

« C’est clairement ce qu’on a essayé de nous plaquer sur le dos », répond Maya. Oui, « on peut parler de désir et d’amour, même jeune ». Elles ont tout de même « un peu vécu » ; et celleux qui les trouveront dépravées seront sans doute bloqué-e-s « par un préjugé générationnel ». Il n’y a pas de « honte du corps » ici, à la fois caché par un accoutrement noir – sobre, fonctionnel – mais également sensuel. Maya souligne le « plaisir coupable qu’il y a d’entrer dans l’intimité de quelqu’un » au théâtre, sorte de voyeurisme bien placé, si l’on peut dire.

À l’origine du projet se trouve « un intérêt commun pour les “Fragments amoureux” de Barthes ». Elles en parlent comme d’une « sorte de dictionnaire » que l’on « laisse au bord du lit » et que l’on « relit tout le temps ». Loin d’un travail universitaire sur ce classique, la metteur en scène invite ses quatre camarades à faire exploser une énergie libératrice sur scène. D’ailleurs, ça se voit, la complicité entre les filles de la compagnie Avant l’aube est forte. Outre les questions entre « bonnes copines », chacune écrit pour le spectacle des textes pour les autres, développant autant qu’il lui est possible l’ensemble des « états amoureux » qu’elle a connus.

Libération des corps, des esprits, du langage : si le mot « clitoris » claque aux oreilles, ce n’est pas par vulgarité gratuite, rappelle Lillah. Bien au contraire, c’est parce qu’il est un élément important du réel et de la sexualité : il existe et il pose question. « Clairement, cela provient d’une discussion entre nous, d’une question que chacune s’est posée. Lucie est la caution “scientifique“ : elle nous fait des dessins. » De fait, la plupart des textes relèvent de questionnements du quotidien, qu’elles partagent entre ami-e-s, comme tout le monde. Et dans la forme, chacune a eu le droit de mettre à jour un fantasme théâtral personnel, relié à la problématique de départ : une scène aux accents d’Almodóvar, une autre se moquant des clichés de Disney, etc.

Réconciliation de la scène et de la salle. Dans cette effusion scénique se trouve privilégiée l’envie de « vivre avec le public » au maximum, de jouer avec lui et d’intégrer ses réactions sans jamais changer la trame initiale du spectacle. « Il n’y a pas de honte à être populaire », assène Maya. Théâtre, musique et danse s’entremêlent selon le vœu original d’Agathe et Lillah. L’important, c’est que l’on ressente le corps : « On est là pour le vivre et le transmettre », sans pour autant « agresser le public ».

Aucune réflexion binaire n’est donc à l’œuvre ici. Au contraire, envers celleux qui cherchent à les étiqueter bien vite comme « réacs », elles prônent un féminisme « moderne » : « On ne dé-sexualise pas le corps de la femme, on souhaite re-sexualiser le corps de l’homme. »