Cela fait désormais vingt-et-un ans que le théâtre est contemporain à Pont-à-Mousson. Et si le lieu est ancien — l’Abbaye des Prémontrés date du XVIIIe siècle — l’anachronisme, lui, reste le bienvenu.
La question est toujours la même : qu’est-ce que les écritures contemporaines, et comment se renouvellent-elles ? Comment ce qui était contemporain hier garde son actualité aujourd’hui, et comment ce qu’on écrit aujourd’hui continuera à résonner demain ? Ces problématiques, à défaut de pouvoir y répondre, La Mousson d’Été a le mérite de toujours se pencher dessus, afin d’essayer d’en dégager des lignes de réflexion, des chemins de pensée, quitte à ce que ceux-ci nous mènent parfois — et, pour être honnête, souvent — dans une impasse. C’est toute la raison d’être de ce festival, qui fête cette année sa vingt-et-unième édition, et qui s’efforce de faire rayonner autant que possible les nouvelles écritures dramatiques, qu’il s’agisse des nôtres ou de celles de l’Europe et du monde. En témoigne le programme de cette année, qui regroupait autour d’auteurs français comme Guillaume Poix ou Frédéric Vossier, des anglais (Zinie Harris, Tim Crouch), des grecs (Dimitris Dimitriadis, Yannis Mavritsakis), mais aussi des auteurs latino-américains, qui avaient cette année la part belle (les mexicains Luis Ayhllón et Itzel Lara, l’argentin Rafael Spregelburd, la cubaine Agnieska Hernández Díaz). Cette liste n’est évidemment pas exhaustive, mais témoigne de l’honnêteté intellectuelle de La Mousson d’Été, qui a compris il y a bien longtemps qu’il était inutile de vouloir parler du monde sans chercher à l’explorer un peu.
Pour ce qui est de l’événement en lui-même, cette édition fut à la hauteur des autres : une ambiance toujours conviviale, dans laquelle on alterne entre passages plutôt laborieux et beaux moments de théâtre. Parmi ces derniers, on retiendra la lecture de l’excellent Comment retenir sa respiration, de Zinnie Harris. La directrice du Traverse Theatre d’Edimbourg (haut-lieu du Festival Fringe) nous offre ici un regard brillant sur le déclin de l’idée européenne et prouve encore une fois qu’elle est un auteur injustement peu connu chez nous. À souligner, aussi, la très belle mise en espace de Notre Classe, du polonais Tadeusz Slobodzianek, interprétée par la troupe des Amateurs du Bassin Mussipontain, ici remarquablement dirigés par Eric Lehembre. De ce texte fleuve, explorant la vie d’un groupe d’amis polonais bousculé par les turpitudes du XXe siècle, le metteur en scène a réussi à tirer un spectacle d’une grande sensibilité, et en profitant de la générosité et du naturel de ses acteurs d’un jour (mais cependant d’une belle intelligence scénique), a fait en sorte que s’opère devant nous, pendant presque deux heures, un de ces moments de grâce sincère comme on n’en voit que trop peu souvent. Sans conteste l’un des temps forts de cette édition.
Mais si, dans ces deux cas, la lecture mise en espace s’est avérée réussie, force est de reconnaître que ce format, si cher à La Mousson d’Été, reste, globalement, problématique. Car chaque année, on entend dans le public la même remarque : cette forme hybride, interprétée par des acteurs certes talentueux mais limités par un temps de préparation réduit et la présence de leur texte en main, laisse toujours un sentiment d’inachevé et dessert plus souvent l’écriture qu’elle ne la met en valeur. On se prend alors souvent à rêver de véritables lectures au pupitre, dénuées d’artifices, qui pourraient enfin laisser les mots se déployer pleinement dans notre imaginaire. Mais ce n’est pas qu’un rêve — Guillaume Poix, qui a dirigé lui-même la lecture de son texte Et le ciel est par terre en prenant le parti de cette simplicité-là, a su nous prouver l’efficacité de ce choix.