L’anarchie joyeuse des élèves du Cnac

On n'est pas là pour sucer des glaces

"On est pas là pour sucer des glaces" - 31e promotion du CNAC (c) Christophe Raynuad de Lage

“On n’est pas là pour sucer des glaces” – 31e promotion du Cnac (c) Christophe Raynuad de Lage

Chaque année, à la même période, la Villette accueille le spectacle de fin d’études de la promotion sortante du Cnac. C’est toujours l’occasion d’un rendez-vous à la fois avec un collectif et des individualités dont la plupart s’épanouiront durablement sur les pistes du monde entier – cette année, les seize élèves représentent neuf nationalités. Et puis, c’est aussi un moment de consécration pour qui est convié à mettre en piste les jeunes circassiens : cette année, il s’agit de Galapiat Cirque.

Que peut-on voir, du coup, sous le chapiteau de la Villette, jusqu’au 16 février ? Une belle piste circulaire en bois clair, comme un hommage à la géométrie du cirque traditionnel. Elle est le premier de multiples clins d’œil faits au passé, pour mieux le détourner : on aime beaucoup, à ce titre, le tigre en peluche qui saute dans un cerceau. Mais le propos ici est de déplacer les attentes, de surprendre jusqu’à côtoyer l’absurde, entre beats technos et tentative de brasse coulée sur plancher recouvert de glaçons. Des masques de catch mexicain couvrent parfois les visages, comme ceux de ce couple en maillot de bain qui observe, main dans la main, les artistes sur la piste. Les Monty Pythons rencontrent « Spring Breakers ». Cette belle énergie collective, exultante, bouillonnante, traverse la proposition. Tout est entrain, dynamisme, envie de conquérir l’espace. Individuellement et en tant que groupe, les jeunes artistes insufflent une grande dose de bonne humeur au spectacle. Qui n’y résiste pas si bien : le fil conducteur qu’on croyait pouvoir suivre se délite bientôt, les scènes de groupe sont à la fois magnifiquement entraînantes mais complètement illisibles à force de saturation de l’attention. On perd certains des interprètes, noyés dans l’ensemble. La mise en piste se rattrape avec l’intelligence du réglage des entrées et sorties, avec des aériens qui restent cachés sur le gril pendant de longues minutes dans ce spectacle qui exploite très bien la verticale. Mais on conçoit une certaine frustration de ne pas avoir plus de sens, le sentiment d’une cohérence narrative. La grande qualité de certains solos permet tout de même de réveiller l’intérêt, à intervalles réguliers. Le numéro de roue Cyr de Marica Marinoni, mêlé d’un peu d’acro-danse, réinvente l’accessoire avec brio, entre ancrage dans le sol et mouvement tout en légèreté. À la corde lisse, Fernando Arevalo Casado livre un numéro audacieux et dynamique. Les deux artistes au cerceau aérien, Noémi Devaux et Aurora Dini, rivalisent d’adresse et de créativité, avec, pour la seconde, un passage final très technique exécuté au ras du sol. Trapèze, corde volante et bascule coréenne sont de très bonne tenue, mais moins originaux, reproche qu’on ne saurait faire à Carlo Cerato, dont le numéro de jonglerie met la technicité en retrait pour s’appuyer sur son talent de bonimenteur un peu pitre et très attachant. Un spectacle enthousiasmant, donc, mais qui souffre de ce qui fait son charme, cette énergie anarchique qui en dissout la structure et distribue trop aléatoirement les solos.