© Christophe Raynaud de Lage

Une plateforme vaguement rectangulaire occupe le Jardin de la Vierge — seul élément de scénographie, morne, laid. Très bientôt, l’excessive imagination de Johanny Bert — artiste indiscplinaire dont le « Hen » avait été unanimement acclamé — vient brutalement l’exploser, elle transperce l’ennui des formes grises et plates. Anticipées par un saxophon(iste) customisé (Thomas Quinart) quelque part entre l’hypnose et le comique, elle émergent, brutes, crues, ces folles intuitions et angoisses de l’artiste, que l’on peut rapidement découper en trois types : motifs écologiques (arbres déracinés, oiseaux aux airs empaillés, hideux cochons mécaniques) ; affres néo-libérales (colis Amazon où logent de petits humanoïdes mauves et pugnaces) ; alliances entre le sexe et la mort (poupées gonflables coiffées de crânes, compositions gothiques et mortuaires). Elles s’entremêlent de façon gaguesque, et la plateforme a vite fait de devenir un terrain de jeu vorace, l’imaginarium en délire de Johanny Bert.

Si « Làoùtesyeuxseposent » est aussi beau, c’est que le metteur en scène est résolument libre, il fait confiance aux images qui l’infusent, risquant des jonctions symboliques et visuelles improbables dont les ineffables émotions qu’elles provoquent sont un précieux gage d’exigence artistique. Accompagné par Faustine Lancel à la manipulation, l’artiste, ici à mi-chemin entre la marionnette et l’installation, dépose littéralement le fourmillement de sa tête sur le plateau, il livre au pénible monde grisâtre le fouillis d’images qui veulent désespérément sortir de lui, déchargeant sans gêne son chaos intérieur. D’ailleurs, la plateforme se brise en moult endroits, elle est friable (une scénographie destructible n’est-elle pas en elle-même un geste généreux ?), il n’en restera plus grand chose à la fin du spectacle. Preuve supplémentaire de liberté s’il en est, les deux manipulateurs, équipés de GoPros, donnent accès chaque jour aux coulisses du spectacle via un QR-code. Le souterrain s’y dévoile de plus près, l’exercice physique, vu depuis la première personne, émeut plus encore, tant l’énergie déployée pour excaver ses images inconscientes rend hommage à l’acte de création tout entier.