DR

Après quasiment un an et demi de fermeture, le mythique cabaret Crazy Horse de Paris vient de rouvrir ses portes. Nous assistons aux répétitions du spectacle « Totally Crazy », créé en 2017.

Dans l’ambiance rouge tamisée et lynchéenne du club tout juste rénové, on sent encore la peinture fraîche. Elles sont quatorze sur scène, et à défaut de porter leur tenue vespérale – ou leur absence de tenue –, elles se contentent d’un crop top et d’un short court. Immédiatement, on s’interroge : le mouvement #metoo a-t-il ébréché l’image du cabaret érotique ? Pour sa directrice Andrée Deissenberg, dont le mari, l’homme d’affaires Philippe Lhomme, est le propriétaire des lieux depuis 2005, rien n’a changé : « Le Crazy est depuis longtemps un environnement safe, ultraféminin et féministe ». En duo avec sa metteuse en scène, elle en est assurément la preuve. « Je cherche des femmes libres, fortes, curieuses, indépendantes », ajoute-t-elle. Pas des potiches destinées à faire saliver la gent masculine, donc. D’ailleurs, surprise : 52 % des spectateurs sont des femmes. Kika Revolver, l’une des danseuses, est en tout cas convaincue : « Etre féministe, c’est faire ce qu’on veut avec son corps. »

Si les discours sont assumés, si le public, traditionnellement trop vieux et trop masculin, a été dépoussiéré, les codes sont toujours, en partie, ceux du monde d’avant, celui d’Alain Bernardin lorsqu’il créa le club en 1951. Un monde dans lequel les filles chantent « You turn me on » en se trémoussant sur des barres de pole dance. N’empêche qu’à défaut de subversion et de chansons révolutionnaires, les ambitions sont visuellement esthétisantes. Pour preuve ce solo façon générique de James Bond dans lequel une fille, au-dessus d’un immense miroir incliné, se dédouble bientôt en arabesques dénudées. Le Crazy offrirait-il plus que de l’encanaillement chic ? Andrée le précise aussitôt : « Nous faisons en sorte que les corps se ressemblent, aussi en ajoutant des perruques, en gommant les particularités [masquage des tatouages, ndlr]. En sortant du spectacle, je vous assure qu’on se souvient à peine du nu. Les émotions provoquées sont loin de n’être qu’érotiques. C’est un spectacle élégant et finalement assez pudique. »

Célébration de la femme ? Kika confirme que travailler au Crazy est une expérience très « empowering » pour les quelque vingt danseuses en CDI, aux côtés d’une vingtaine d’autres en freelance. Ce n’est sans doute pas un hasard si la durée moyenne de l’engagement est étonnamment longue, autour de huit ans. Rejoindre la troupe, c’est aussi intégrer un certain mode de vie. Chaque fille, âgée de dix-huit à plus de trente ans, a une formation de danse classique, et parfois contemporaine. Une contrainte de taille : mesurer entre 1,68 et 1,73 m, et pas plus, à cause du plafond de la scène particulièrement bas ! Une fois sa personnalité cernée, on attribue à la pin-up un pseudo, également utilisé pendant les répétitions : Betty Mars, Miss Volupta, Cooky Diapason, Goldy Nugget ou Lora Tremolo, autant de combinaisons english, pop et sexy.

Sans surprise, les touristes représentent environ la moitié des spectateurs, Américains en tête, suivis par les Belges, les Suisses et les Russes. « Les Chinois préfèrent les grandes salles moins intimistes comme le Lido ou le Moulin » précise la directrice. Le Crazy attire peu de Parisiens, sauf évidemment lorsque Philippe Decouflé, en 2008, fut appelé pour chorégraphier le spectacle. A côté de la scène, tel les tables de la Loi, trône l’historique des invités VIP, de François Hollande à Prince en passant par Chuck Norris et François Truffaut. Ce dernier disait qu’ « avec l’érotisme, il arrive toujours un moment où le film n’existe plus ». Ici c’est l’inverse : sur l’écran noir de sa nuit blanche, c’est le film de chaque spectateur qui commence. Au Crazy, semble-t-il, la chair est gaie, et il reste beaucoup de livres à lire.

« Totally Crazy » au Crazy Horse
12 av George V, Paris 8e. De 87 à 170 € hors repas