« La vidéo fait de l’opéra un art contemporain »

D.R.

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Dans un livre à paraître à l’automne aux éditions Alternatives théâtrales, le vidéaste et plasticien Denis Guéguin revient sur dix années de collaboration avec le metteur en scène Krzysztof Warlikowski sur la scène lyrique.

Avec des metteurs en scène comme Lepage, Castellucci, La Fura dels Baus, Sellars couplé à Bill Viola, l’art vidéo paraît désormais évident sur les plateaux d’opéra. « Aujourd’hui, un vidéaste est reconnu, il trouve sa place et ne passe plus pour un étranger, même aux yeux des chefs d’orchestre, dont certains demeurent réticents alors que la plupart connaissent et apprécient son travail… Mais au début, mon métier n’existait pas aux yeux des équipes de production. C’est la raison pour laquelle mon rôle devait être un peu plus expliqué et valorisé. »

À la question « Qu’est-ce que la vidéo apporte de plus à l’opéra ? », Denis Guéguin répond, euphorique : « Plus de plaisir ! L’opéra est le lieu le plus extraordinaire pour rêver et créer un spectacle. C’est un art total. Il ne peut se contenter d’être une machine à produire de la grande et belle musique. Pour en faire un véritable art contemporain, il faut l’irriguer de nouvelles formes. C’est tout l’intérêt de la vidéo. »

Une des caractéristiques de son travail avec Warlikowski est qu’il prend comme source d’inspiration à la mise en scène d’un opéra un ou plusieurs chefs-d’œuvre du septième art : « Sunset Boulevard », de Billy Wilder, pour « L’Affaire Makropoulos », de Janácek, Kubrick et Rossellini pour « Parsifal », de Wagner, Paul Morrissey pour « Le Roi Roger », de Szymanowski, « Marienbad » (Resnais) pour « La Femme sans ombre », de Strauss, « Shame » (McQueen) pour « Don Giovanni »… « Ces films cultes nous donnent de nouvelles possibilités de raconter ces histoires, explique-t-il. Tout un univers naît de notre cinéphilie commune mais n’est évidemment pas partagé de tous. Pour autant, on l’utilise comme une référence universelle car on trouve dans des mythes comme Marilyn Monroe ou “2001 l’Odyssée de l’espace” ce qui relève du mystère humain et de l’existence que nous voulons explorer. » Ces références se retrouvent directement citées sur scène, ou bien elles apparaissent par un système complexe d’analogies.

La vidéo live modifie le rapport à l’interprète, devenu un véritable performer filmé parfois en gros plan. Warlikowski et Guéguin aiment travailler le dévoilement de l’être dans l’intimité. Le plus enfoui est soudainement exposé, parfois crûment. « Le chanteur n’est pas acteur de formation, il n’a pas la même disponibilité, il peut être intimidé mais peut se servir de la caméra comme d’une loupe pour exalter sa virtuosité. Les possibilités d’une Angela Denoke, d’une Nadja Michael ou d’une Barbara Hannigan sont complètement délirantes. »

Pour certains puristes, le foisonnement visuel détourne l’attention de la musique. « L’opéra est un monde clos sur lui-même, se désole Denis Guéguin, son public est parfois décevant dans la mesure où, dans sa recherche de perfection et d’hédonisme, il finit par oublier qu’il est au théâtre. Pour le bousculer, on cherche à lui offrir des ouvertures dramaturgiques, poétiques vers un ailleurs, un autre univers, une invitation à lâcher prise, à renoncer à une lecture dite “classique” d’une œuvre. » C’était d’ailleurs la conviction profonde de Gerard Mortier sur l’opéra. « Nous sommes ses derniers enfants. On est désespérés de sa perte », confie Denis Guéguin. L’opéra appartient aux contraintes de la musique, mais celle-ci n’entre pas en concurrence avec la scène. « Au contraire, la vidéo soutient et amplifie la musique, le sens et l’émotion ! On dit que les metteurs en scène ne comprennent rien à la musique. C’est faux ! La vidéo peut intervenir en dehors de la musique [ce fut le cas en prélude à l’acte III de “Parsifal” ou avant l’ouverture de “Frosch”], mais j’aime tellement l’opéra que je préfère quand il devient la musique de mes films. »