La force de danser

Job

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Tout commence par les regards. Ils sont debout au plateau et sourient. Ils saluent le public qui s’installe, comme une invitation à entrer dans leur monde. « C’est commencé ? » demande une spectatrice. Le jeu sur les codes de la représentation est annoncé dès les premières minutes. Puis noir total, et le son des percussions s’élève des enceintes.

Le premier tableau est fort. Les sept répètent un enchaînement codifié qui s’enraye progressivement. Chacun ôte peu à peu les multiples couches de vêtements qui couvrent les corps, et une danse endiablée se poursuit sans relâche dans l’amas des tissus. On évoque ici avec humour la réalité du quotidien du danseur : se changer en permanence, effectuer des exercices répétitifs, parfois absurdes. C’est drôle et ça ne se prend pas au sérieux. Ça danse et l’on aime ça. Une danse organique et pulsionnelle, aux allures furtives de break. Les images se succèdent : océan de jambes, pantin désarticulé, photos de famille… Au fil du spectacle, le principe de l’exercice nous perd un peu. On aimerait que les tableaux soient plus brefs ou, au contraire, poussés à l’extrême. Aller plus loin dans l’aliénation par la répétition et l’épuisement des corps pour sortir du cadre et donner à « Job » une autre dimension, plus grande, celle du monde du travail tout entier.

« Job ». Tout est dans le titre. En s’inspirant de l’ouvrage de Pierre-Emmanuel Sorignet, Lucie Augeai et David Gernez mènent une réflexion autour de l’impact de la profession sur l’individu. Je suis défini par mon travail et existe à travers lui. Ici, ce travail, c’est celui du danseur. Un job/passion sur lequel sont projetés des fantasmes. Pas utilitaire et pourtant indispensable. En puisant dans leurs vécus, les interprètes créent une sorte de monde de l’entreprise de la danse. Entreprise bien plus loufoque que de coutume cependant, car la légèreté revient au galop. Les danseurs captent notamment l’attention par l’expressivité des visages. Chacun a sa singularité, et divers personnages prennent vie comme autant de natures, de postures, de silhouettes sur le plateau. Il est intéressant de voir comment chaque corps, dans ce qu’il a de particulier, subit l’effort. Ce que l’on perçoit en tout cas, c’est la passion qui rend ce métier nécessaire et leur donne à tous la force de danser.