L’information diffusée en continu (dé)coupe notre regard, déchire notre empathie, encadre notre aperçu de la réalité. Une information stérilisée, stéréotypée, stylisée. Toujours les mêmes mots qui reviennent dans les mêmes bouches, et, pour illustrer, les mêmes visages à l’écran qui scrutent les nôtres, de l’autre côté. Que savons-nous vraiment de ces femmes et de ces hommes qui partent loin de chez eux, quand nous ne connaissons pas leurs noms, quand nous ne partageons rien de leur quotidien, quand nous refusons de lire leurs visages ? La pièce d’Aiat Fayez est avant tout un témoignage : celui d’échanges relevés au cours de son immersion de dix mois au sein de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Dans le « bunker », poétique nom qui désigne l’espace où les migrants attendent le traitement de leur dossier. Patientent et s’impatientent. Un véritable nœud tragique.
Dans cette farandole d’entretiens, Matthieu Roy taille un espace d’expression sur mesure pour le Théâtre de la Poudrerie, qui se déroule chez l’habitant. Cette structure itinérante crée autre chose qu’une simple sensation d’intimité : elle est une matière vivante en elle-même, pure et riche d’imprévus, dans laquelle éclosent des propositions uniques et de nouvelles rencontres. Ces récits de vie, d’espoir et de violence voyagent à leur tour. Dans le salon d’un vieux couple, avec de petites rangées de chaises improvisées, la parole se libère pendant et après la représentation.
Dans leur danse inlassable, tour à tour immigrants, encadrants, gardes, traducteurs et narrateurs, Gustave Akakpo, Hélène Chevalier et Sophie Richelieu sont tout simplement magnifiques. Pas de surenchère simpliste et gentiment larmoyante. Tout d’abord, des faits : la violence d’un processus. La forme labyrinthique d’une administration pensée pour décourager ; ses agents tantôt conciliants, tantôt acerbes, leurs regards pleins de compassion autoritaire. L’injustice du facteur chance, règle absolue qui frappe à l’aveuglette. Et puis le doute, partout, tout le temps. Les paradoxes et aberrations du système, d’un côté comme de l’autre. Le « bunker » est un vrai petit théâtre sordide, où s’affichent parfois des récits faits de toutes pièces, vendus aux demandeurs d’asile pour qu’ils puissent acquérir des codes langagiers et culturels qu’ils ne maîtrisent pas.
« Un pays dans le ciel » n’est pas là pour offrir des réponses mais plutôt pour élargir le champ des questions. Le vibrant trio emporte l’assemblée dans un univers kafkaïen bien éloigné des écrans télévisés qui, eux aussi, marmonnent toujours et encore le même récit tout fait. Aiat Fayez et la Compagnie du Veilleur ne pouvaient pas nous amener plus près du réel, dessinant des fragments de destins dans cette forme voyeuriste difficile, maîtrisée par de jeunes talents, qui libère le regard et embrasse la vie.