Quand on n’a pas de pétrole…

Procesul

C’est peu dire que Mihaela Panainte a des idées. Et c’est peu dire aussi qu’il en faut dans son cas, tant il paraît difficile de créer dans les conditions qui sont celles des artistes aujourd’hui en Roumanie. Et pourtant… pourtant voilà que cette jeune metteuse en scène d’une trentaine d’années vient de créer au Théâtre National de Cluj une version onirique du « Procès » de Kafka qui résonne avec l’ardeur d’une réflexion sans concession, et de laquelle se dégage le parfum d’une sorte d’existentialisme métaphysique. Épaulée par le grand scénographe Helmut Stürmer, compagnon de route de Gabor Tompa qui donne à cette proposition des allures d’« Einstein on the Beach », elle assume ici un parti pris radical : celui de la condamnation sans appel de Joseph K, devenu parangon d’un égotisme érigé en symbole du monde qui va (mal, a priori). Et c’est ici que réside tout l’intérêt de la version qu’elle propose de ce roman. Alors que la plupart des artistes profiteraient du fait de monter ce texte pour en faire une déclaration politique qui virerait au brûlot kitsch dirigé contre un pouvoir supposément abject, jamais Mihaela Panainte n’emprunte cette voie et ne profite de la scène pour faire de son travail le porte-étendard d’un dessein politique. Au lieu de cela, Ionut Caras incarne un Joseph K qui éloigne le propos du politicien pour en faire un simple manifeste humaniste par la démonstration de sa propre inhumanité. Au fil de la pièce, ce n’est effectivement plus l’injustice de la situation de cet homme qui ressort mais l’égoïsme forcené d’un individu. Dévoré par le désir d’être, K s’enferme en lui-même jusqu’à finir en prison et devenir « l’exilé de sa propre vie ». Ou quand la victime devient son propre bourreau, et par là l’image de la merditude d’un monde. C’est parfois hésitant, mais cela reste intéressant tant cette conception de l’œuvre reflète le caractère de cette metteuse en scène : celui d’une acharnée qui refuse de se plaindre et qui avancera, coûte que coûte.