© Ictus

Qui s’affaire à l’extension ou à la révision du domaine du son rencontre incoerciblement l’ensemble Ictus et ses Liquid Room Series, dont chaque épisode explore musicalement un motif différent. Pour cette expérience VIII, c’est au tour de la phrase et du « phrasé » de dialectiser avec le son. 

2h25 sont nécessaires pour présenter une série d’oeuvres contemporaines entrecoupées d’un interlude baroque, au coeur d’un dispositif en cinq espaces (quatre scènes et une régie à vue) entre lesquels les spectateurs sont installés sur des sièges en carton. Cette diffraction spatiale n’est pas au hasard : si la scène centrale est plus pédagogique – avec un moment qui explique frontalement l’architecture phrastique, les deux scènes principales souvent en duo renforcent l’effet d’immersion. Quant aux lumières, elles rappellent à la fois les techniques modernes du concert (fluos et asservies) et en contrepied absolu, la lenteur des vagues et de l’océan (couleurs bleue et blanche et inconstance des points lumineux). Bref, il s’agit là d’une musique qui réfléchit sur ce qui l’entoure, et qui s’acoquine du même coup avec la dramaturgie.

L’expérimentation reste le maître-mot et la clef de voûte des Liquid Room Series. Avec tout ce qu’elle a de logiquement bancal : que ce soit dans le simili-didactisme sur le motif phrastique à la flûte traversière ou dans quelques morceaux dont le processuel l’emporte sur le résultat… Mais avec tout ce qu’elle a d’excitant : car le choix des oeuvres, guidé par la cohérence du thème (et non de l’histoire), favorise heureusement la perte de repères du spectateur. Il reste donc à s’immerger dans une forêt de découvertes musicales : notons les formidables Mutation de Panayiotis Kokoras, la performance du Vaduz de Bernard Heidsick (et son « tout autour » qui reste en tête) ou encore les Lichtenberg Figures d’Eva Reiter — oeuvres toutes très dramaturgiques et brillamment interprétées. Également l’amour pour le corps de l’instrument : l’objet lui-même n’est-il pas du son ? Jouer avec l’objet plutôt qu’avec ce qu’il produit, voilà une belle coïncidence chère à la musique contemporaine (qui vaut également pour l’instrument humain). Bien que la longueur et l’hermétisme de la proposition tendent parfois au léger ennui, on ne peut que féliciter la générosité d’Ictus : autant d’oeuvres et autant de musiciens-performers réunis dans ce puissant désir de tester et de s’amuser avec la pulpe de l’expérimental.