Faire avec sang et larmes

Des territoires (…et tout sera pardonné ?)

(c) Sonia Barcet

« Des territoires (…et tout sera pardonné ?) »  juxtapose révolution algérienne, crises de société et deuils multiples. En filigrane et tout en pudeur Baptiste Amann y ajoute un regard lucide sur les vicissitudes de la vie et sur sa place d’auteur-metteur en scène instaurée au fil de son triptyque « Des territoires ». 

Lyn, Samuel et Hafiz, le fils adopté d’origine algérienne, sont au chevet de leur frère Benjamin, en mort cérébrale suite aux émeutes dans le quartier de leur enfance d’Avignon. Ils viennent d’enterrer leurs parents et s’y adjoint le choix cornélien du don d’organes. Dans le même hôpital, le tournage d’un film sur le procès de Djamila Bouhireb, militante FLNmet en conflit les héritiers d’une histoire commune mais apparemment différemment intégrée.

Le double plane sur « Des territoires » de la construction narrative basée sur un anachronisme (déjà dans les précédents épisodes) mixant passé et présent jusqu’au dispositif scénique, divisant le plateau en deux : une salle de soins et un hall qui préfigure le tournage en hors champ. Et si l’auteur ne parle jamais à la première personne, il apparaît en transparence dans chacun des personnages, à l’instar de cette scène d’ouverture en forme de manifeste sur les risques de manipulation des médias.

La pièce est traversée de moments d’interrogations, de longs monologues qui emportent très loin (Moussa dressant froidement la liste des morts par bavures policières comme les morts au combat), de superpositions de dialogues risquées mais réussies, de rythmes qui se cherchent, de mises en perspectives bouleversantes… et de cette démentielle écriture de Baptiste Amann qui impose le lyrisme et la beauté de la description quand plus personne ne s’attache au style. Le tout porté par des comédiens puissants qui font de la scéne ta famille.

A la sortie du ZEF, balancé entre une immense tristesse assortie d’une langueur diffuse et toutefois un sourire aux lèvres, il nous semble avoir parcouru l’Histoire pour arriver à soi. Baptiste Amann est un constructeur d’états humains, il rejoint en cela les metteurs en scène de l’empathie tel Milo Rau ou Tiago Rodrigues… Résister n’est plus suffisant, il faut vivre avec, ne plus tenir le souvenir des souffrances en joue mais exécuter vaillamment son avenir. Baptiste Amann prend un seul parti pris, celui de la vie à tout prix.