© Mathieu Mangaretto

Que reste-il de nous, lorsque l’âge des possibles s’efface derrière celui des bilans, que ce soit à 55 ans, à la retraite ou à l’heure de l’entrée en EHPAD ? Quelle est cette « deuxième phase de sa vie » qui impose son rythme en ralenti sans replay et préfigure la fin, surtout lorsque la maladie fait tout prématurément dérailler… ?

Michelle, aide-soignante coiffeuse à la résidence La Roseraie, est en proie à des absences, des glissements. Elle oublie et s’en amuse. Un chant choral la raconte puisqu’elle ne sait plus l’ordre des choses. “Les Belles de Nuit” traite de ce moment charnière où tout bascule. Pour Marie Provence, coutumière des sujets qui ont trait au deuil, à la marge, la folie, c’est la force de la vie qui prédominera toujours. Le cœur de son travail, centré sur le jeu de l’acteur, son corps et ses déplacements, impacte de façon encore plus prenante sa dernière mise en scène. Elle s’accorde parfaitement avec l’écriture brute, organique, de Magali Mougel, dans l’importance du détail, qui sans démonstration situe un milieu, une époque, un état, une maladie. Le texte, en prise directe avec la pensée de Mimi, s’organise autour de répétions, cycles, déconstruction et variantes incluant des éléments marquants de la propre existence du personnage : Monette, l’Algérie, Billy Holiday, ses clientes…

Tout s’imbrique, se distend, se mélange et à la troisième boucle, on se perd aussi un peu. Cependant, l’extraordinaire interprétation de Line Wiblé, flamboyante Mimi, nous rattrape. Dès les premières minutes, elle subjugue son public et impose naturellement la Grande, l’alter ego imaginaire de son personnage. Elle insuffle à Mimi la malice de l’enfance, l’authenticité mélancolique d’une Yolande Moreau assortie du tragico-comique de Giulietta Masina. Elle est surtout unique dans sa façon de se donner. Et l’on regrette presque que Marie Provence n’ait pas été plus aventureuse, notamment dans son désir de mettre en évidence la sexualité des femmes plus âgées, que la sensualité de Line Wiblé aurait indéniablement pudiquement sublimée. Tous les personnages hauts en couleur sont superbement incarnés par Claire Cathy, Dominique Sicilia et particulièrement Pascal Rozand, le fils, au jeu subtil et profond.

Marie Provence se dégage d’un théâtre essentiellement documentaire, qui s’exposait au pathos, pour entériner son théâtre de l’intime, du sensible qu’elle sert avec brio. Elle nous offre une pièce lumineuse, fantasque, tendre, qui dédramatise la réflexion sur ce sujet.