Le Blitz Theatre Group, bâtisseur d’un monde nouveau

6 a.m. How to disappear

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Infatigables bâtisseurs, les sept interprètes de « 6 a.m. How to disappear completely » invitent à contempler la renaissance d’un monde tombé en ruine.

Fondé en 2004 par Angeliki Papoulia, Christos Passalis et Yorgos Valaïs, le Blitz Theatre Group compte parmi les collectifs les plus inventifs et novateurs de la scène athénienne. Il s’est révélé en France avec des pièces comme « Guns ! Guns ! Guns ! », « Late Night » ou « Vania. 10 ans après » qui, toutes emplies d’une poésie mystérieuse aux tonalités étonnamment douces et loufoques, rendent compte de la morosité ambiante, d’un sentiment tenace de désenchantement, de déshérence face au temps présent.

Dans les profondeurs de la nuit noire recouverte d’un épais brouillard, une communauté d’ouvriers répond au chaos par la construction d’abris précaires sur pilotis. Telles des fourmis pugnaces et laborieuses, ils s’affairent, s’activent, bricolent, combattant les éléments déchaînés d’une nature minérale et hostile et charriant matière et poussière. Leur ouvrage inlassable témoigne d’une hargne, d’une urgence, d’une volonté pas farouche d’agir, se défendre et survivre à la catastrophe qui les menace. Ensemble et séparés, envers et contre tout, chacun muré dans sa soif de grandeur et son ineffable solitude, ils construisent les fondations de l’ère nouvelle à laquelle ils aspirent comme avant eux l’homme préhistorique qui découvrit le feu en frottant des cailloux ou celui qui, au Moyen Âge, faisait s’élever pierre après pierre et de ses mains les tours majestueuses des cathédrales.

Sur le vaste chantier s’érigent des échafaudages que gravitent les acteurs tutoyant le ciel. Perchés dans les hauteurs, ils voient loin et rêvent grand. Le temps étiré, suspendu, se fait propice à l’ennui inévitable et à la réflexion méditative.

Économe en mots et en actions, cette forme de théâtre qui s’apparente à un tableau vivant délivre un propos à la fois esthétique, politique, existentiel. Elle n’assène pas, elle évoque. Simplement par la puissance de ses images à la beauté stupéfiante, par l’éloquence des sons feutrés et néanmoins musicaux comme des silences pesants qui la constituent.

Inspirée du poète allemand Hölderlin et du cinéaste soviétique Tarkovski, la fable originelle et atemporelle, métaphorique et utopique, fait particulièrement écho à l’adage beckettien « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux ». C’est au prix de cet effort redoublé qu’une éclaircie solaire inonde le plateau. Elle représente une figure divine ou mythologique, la poésie, l’art, le progrès, la connaissance, ou bien d’autres guides spirituels et salvateurs, autant d’éléments auxquels peut s’attacher l’homme éperdu pour réenchanter son rapport au monde et s’exhorter à aller de l’avant.

Écrit en alphabet grec, le mot « espérance » formé aux néons bleus apparaît comme une résolution tout aussi illusoire que nécessaire qui affiche un optimisme notoire face à la réalité bancale et incertaine, celle des artistes et des citoyens affaiblis par la crise que traverse le pays fondateur de la démocratie et l’Europe entière. La lumière a triomphé de l’obscurité. Un autre jour se lève. Un monde nouveau advient.