Fidèle à son approche kaléidoscopique de l’écriture, Philippe Sollers livre un énième roman qui n’en est pas un, et qu’il justifie par un aphorisme : « Le seul vrai roman est le mouvement de l’Esprit, rien d’autre ». Pirouette facétieuse ou véritable propos sur la littérature ?

En apparence, la ligne de « Mouvement », qui sort cette semaine chez Gallimard, se dessine autour de la figure d’Hegel vu par Sollers : voyageur achronique que l’on trouve ici lecteur de Rumî, vénèrant Sade, Nietzsche et Heidegger, dînant avec Lénine, mais se contrefoutant de Freud. Évidemment, ce vrai-faux personnage ressemble page après page de plus en plus à Sollers et de moins en moins au philosophe allemand !

C’est que « Mouvement », plus encore que le précédent « L’Ecole du mystère » (Gallimard, 2015), est une succession non linéaire de fragments tenant de l’essai plutôt que de la fiction. Fidèle à son esprit oblique, Sollers le néo-humaniste convoque des bribes de connaissances émanant de toutes les directions à la fois. Il mélange allègrement la biographie de Blaise Pascal, la glose de Georges Bataille sur les grottes de Lascaux, l’affliction devant une génération droguée aux téléphones portables, et la survivance des vieux philosophes chinois…

« Le mouvement est l’infini en tant qu’unité de ces deux opposés, le temps et l’espace », énonce Sollers en citant Hegel. Une fois de plus, l’auteur parle de lui-même, de son mouvement intérieur qui génère un espace-temps aussi jubilatoire que vaporeux. Si Sollers a toujours aimé manier le paradoxe, il semble avoir de moins en moins de peine à s’affirmer en « réac progressiste » qui attribue les bons et les mauvais points et dédouane son propre système : « Comment passer inaperçu dans un monde de surveillance généralisée ? (…) Si vous êtes écrivain, soyez médiatique, tout en accumulant vos propres livres sur votre bureau. Personne ne vous lira, ce qui n’a aucune importance ». Justification parfaite d’une omniprésence mondaine !

Sollers ne créé sans doute plus grand-chose depuis longtemps et se contente de ruminer ses antiennes de citation en citation, mais il faut lui reconnaître une certaine joie de l’écriture, un brassage d’idées hétéroclites dont la plus grande partie semble préférable à celles qui émaillent les fades romans de cette seconde rentrée littéraire. « L’humour est mort, puisque plus personne ne prend rien au sérieux » : l’ironie sollersienne est à prendre très au sérieux.