Ne reculant devant aucun paradoxe, Antoine Defoort ouvre le festival Vivat la danse ! avec un spectacle de théâtre. À Armentières, où il a été artiste associé pendant plusieurs années, il a l’habitude de prendre ses quartiers et de « peaufiner » ses créations promises à de beaux avenirs.
Ce fut le cas du génial « Germinal », cosigné avec un ancien complice, Halory Goerger, qui vole lui aussi désormais de ses propres ailes. « On traversera le pont une fois rendus à la rivière » sera présenté au Phénix de Valenciennes avant une tournée internationale. Il est déjà attendu au CentQuatre à Paris et au Kunsten à Bruxelles.
Dans cette dernière création, Defoort déroule son programme habituel : faire table rase des présupposés en matière aussi bien de représentation artistique que de perception du monde. Aller aux origines, inventer des systèmes, les faire émerger, trouver de nouveaux moyens de communiquer, c’est là toute l’ambition du projet loufoque et particulièrement inventif de l’artiste belge et de ses compères de l’Amicale de production, Julien Fournet, Mathilde Maillard et Sébastien Vial.
Ce protocole si décalé ne pourrait prétendre délivrer des énoncés scientifiques, car rien de définitif ne se dégage ni des sempiternelles interrogations flottantes que posent les interprètes ingénus ni des dérisoires tentatives de raisonnement qui suivent. Leurs tergiversations proférées avec autant de fausse naïveté que de désinvolture feinte plongent dans des profondeurs de perplexité.
La genèse des choses qu’ils ne cessent d’explorer de spectacle en spectacle continue à poser problème. Pour preuve, aussitôt commencée, la pièce bugge, se reprend, s’interrompt à nouveau, redémarre son long rituel d’affaiblissement progressif des lumières de la salle et des conversations du public. Quand a débuté le spectacle ? Voilà une question caustique à laquelle on peine à répondre, puisque justement son début s’est vu autant différé que réitéré… Autre débat issu d’un engagement intenable des comédiens : distinguer le vrai du faux. Leur prestation reviendra à annuler les frontières qui opposent la réalité à la fiction.
Une intrigue finit par naître de l’enchaînement improbable de hasardeuses suggestions parfois contradictoires qui témoignent d’un plaisir non dissimulé des artistes à nous balader et à casser les conventions illusionnistes de la représentation. Sur un espace vierge et indéfini, trois personnages cohabitent dans un véhicule agricole devenu studio précaire d’enregistrement pour une webradio locale. L’émission capte les bruits environnants à la périphérie des villes et des campagnes et fait entendre le monde autrement à ses populations.
On retrouve dans ce spectacle minimaliste une belle ingéniosité à fabriquer des ressorts narratifs en mêlant les langages et les disciplines. Ce travail d’écriture textuelle et scénique embarque ses protagonistes dans des divagations existentielles sans fin qui multiplient les détours et les possibles. C’est drôle et déroutant, parfois vain.
Soutenue par une hypertechnologie qui fait aussi l’intérêt d’une forme bien d’aujourd’hui avec micros, instruments de musique électriques, jeux sur les sons et la lumière, l’histoire, totalement alambiquée, n’en demeure pas moins simplissime. Elle s’inscrit dans un monde ultraconnecté et épris de virtualité, mais c’est bien la rencontre et la chaleur humaines qui sont au cœur du geste théâtral, qui s’apparente avant tout à une expérience poétique et sensible.