Est-ce parce que la compagnie dispose d’un lieu éponyme, Le Vélo Théâtre, qu’elle a choisi un moyen de locomotion pour nous transporter à travers le bonheur ? Allez savoir… On entre dans la salle, sorte de gare aux allures étranges, pleine de marques au sol, flèches dans un sens, croix dans un autre. On nous donne notre billet. On nous place debout, parqués les uns contre les autres. Sirènes, bruits de gare, saxophone… Tania Castaing et Charlot Lemoine ont encore tout organisé pour qu’on perde nos repères, qu’on passe d’un joyeux bazar de chaises empilées où il faut trouver son numéro pour s’asseoir à une ligne derrière laquelle il faut se placer, qui sous le repère X, qui sous le repère W… On finit, mi-figue mi-raisin, par entrer dans ce train où les contrôleurs Luiz et André sont habillés à l’ancienne. Quatre séquences vont rythmer ce voyage au pays d’un bonheur simple et fraternel.
Si les comédiens jouent les contrôleurs, ils sont aidés dans leur tâche par un employé qui s’applique tantôt à faire le ménage dans la salle d’attente imaginée pour l’occasion tantôt à jouer de la musique sur scène, ce qui apporte une autre dimension à l’ensemble. Le spectateur joue un rôle crucial dans cette nouvelle création et le dispositif, prévu pour 70 personnes maximum, déstabilise en effet et nous donne l’occasion de tous faire connaissance… Le premier événement perturbateur, comme dans tous les trains, prend les traits d’une passagère qui n’a pas de siège, son siège… dilemme… On craint le jeu des chaises musicales mais la compagnie évite ce lieu commun potache pour nous faire glisser vers une autre séquence autrement plus inattendue.
S’ensuit une heure de gestes poétiques, drolatiques, bilingues – plus ou moins bien rodés encore, mais c’était une première – qui vont transporter le public dans un univers où chaque chose sert la poésie du projet : si ce n’est pas une marguerite, c’est un lapin tout droit sorti d’« Alice au pays de merveilles ». On voyage. Assis dans un wagon fictif, on voit passer un paysage, celui qui nous plongeait dans la rêverie lorsque les trains étaient des Corail et non des TGV qui déforment vaches et maisons. On voit défiler une vie calme et paisible. Seul le fameux colis piégé rappelle une contemporanéité évoquant les attentats qui, on l’a vu, peuvent avoir lieu dans les gares, dans les trains.
Finalement, dit une voix « off », « qu’est-ce que tu attends de la vie ? ». Réponse sereine et simple : « Il faut que je réfléchisse… » C’est le sujet et l’intrigue de ce spectacle : la question de savoir où est le bonheur et, même, si nous savons – saurions – le reconnaître. Les tableaux d’affichage fonctionnent en boucle, distillant des messages postdadaïstes du genre : « Nous cherchons notre liberté. » Pas faux… Au bout du compte, le bonheur c’est quoi ? L’harmonie, être heureux, l’amour ? Et de conclure : « étrangers dans ton paradis », qui rejoint la devise sartrienne : « l’enfer, c’est les autres… » et, en plus, « intrus dans mon monde »… faut pas pousser !