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Créé en 2014, le ballet « Rito de primavera » du chorégraphe chilien José Vidal ouvre la 22e édition du Festival de Marseille à La Cartonnerie/Friche La Belle de Mai. Cette année, le directeur du festival Jan Goossens propose une programmation œcuménique qui puise dans la religiosité du lien social, soutenue par l’écho contemporain d’un Marseille qui s’éveille au Tout-Monde.

Ce soir d’ouverture du festival, les 40 danseurs conviés sur le plateau par José Vidal nous disent que l’heure est à la communion. « Rito de primavera » inaugure la 22e édition du Festival de Marseille loin d’une cérémonie institutionnelle avec un beau discours. Le cérémoniel est ailleurs, dans une religiosité étymologisée au sens de « ce qui relie ». Une intention programmatique qui peut d’ailleurs compter sur le dispositif hybride du chorégraphe José Vidal, lui-même issu de l’anthropologie et de la sociologie. « Rito de primavera », c’est l’adaptation électro et indisciplinée du « Sacre du printemps », ballet de Stravinsky composé pour Nijinsky. Mais le sacre attendu fait place à un paganisme nouveau, qui parie sur le « danser ensemble » et les corps en contact. Pour accéder à La Cartonnerie, il nous faudra d’abord nous purifier. C’est donc pieds nus, main dans la main et dans le noir que la procession des spectateurs fait son entrée dans la salle. La jeune femme qui me tient la main me caresse du doigt, réflexe d’amoureuse ou de maman. Je la laisse faire. On assoit le public de chaque coté du plateau, geste qui interroge la propriété de l’espace scénique et dont les quatre cotés ferment le cercle du rite.

L’ensemble multiple : diversité des pulsations

L’espace ainsi ritualisé va plus loin, cherchant à naturaliser le mouvement, à annuler la spectacularisation de la danse : « Rito de primavera », ce n’est pas de la « belle danse ». En témoigne la diversité des anatomies, des poids et de l’ancrage des corps dansants, des postures libérées des entraves techniques. Ce qui gouverne, c’est le rythme, des pulsations de la musique électro au pouls des corps non identiques, tour à tour essoufflés, hurlant ou chantant. Et si cette multitude mène un corps de ballet sans solistes, les portés y sont héroïques ou amoureux, et les mouvements d’ensemble quand ils s’affrontent, s’achèvent sur une parade amoureuse ou victorieuse, souvent à terre, pour signaler la défaite du vertical. La chorégraphie se déploie en clair-obscur, entre noir et écran de fumée, pour multiplier les effets de dévoilement. Dévoilement, éclosion, renaissance du printemps : « Rito de primavera » est un spectacle végétal où la moitié des danseurs sont des jeunes Marseillais en professionnalisation, une jeunesse porteuse d’un supplément de vie qui fait le sel de cette création.

Une performance poéthique

Programmée dans une période électorale marquée par la déchirure du tissu social, la première française de « Rito de primavera » tombe à point nommé. Dans sa pratique de la danse, José Vidal cherche à activer « l’intelligence collective », au point d’inviter le public à rejoindre les danseurs sur scène. Une démarche qui questionne l’accès des publics, en écho avec la déhiérarchisation des pratiques culturelles défendue par Jan Gossens. Circularité du don et du contre-don, subversion carnavalesque, sortie de mort et retour de vitalité sont donc au rendez-vous avec « Rito de primavera », exorde efficace et séduisant qui inaugure le festival.