L’hommage sobre et vibrant de Thomas Jolly au théâtre public

Starmania

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« D’Angers aux JO tout est partout pareil… » : ce « Starmania » 2022 aurait pu commencer comme ça. Mais voilà que cette critique s’embarque d’emblée dans du sarcasme élitiste, accusateur, du moralisme à trois sous voulant tordre les oreilles d’un enfant éternel, ce Thomas Jolly qui troque sa grande mission vilarienne contre des stades où tonnent les paillettes roses. Contre des scènes où les projecteurs robotisés, par dizaines, émergent des planches par des trappes électroniques, tels des phoques frétillants qui auraient voulu eux aussi être des artistes et faire tourner des ballons sur leur nez.

Alors non, on ne nous y reprendra pas : cherchons humblement le soleil au milieu de la nuit (“Macbeth”, scène 1 ?) et reconnaissons qu’on ne s’attendait pas à ce que ce « Starmania » soit, sous ses faux airs de bonbec dystopique, un si bel hommage et un si fervent plaidoyer en faveur du théâtre public. Un acte qui met l’feu aux buildings, lancé en pleine face à tous les politiciens venus s’encanailler en ce soir de première (notamment Jean-François Copé et Eric Woerth) et à l’armée de chansonnier.e.s pseudo-subversifs (Laurent Ruquier, Guy Carlier…) venus pleurer un bon coup, et ce pour leur rappeler à quel point le théâtre d’art doit être une affaire de tous les jours.

Qu’il reprenne Romeo Castellucci et ses nuages de poussière noire, miroirs d’un monde trop stone, Joël Pommerat et son monarque surgissant du public (ici le politicard Zéro Janvier), ou encore Frank Castorf et ses vidéos brutes, magnétisées par des corps qui narguent l’objectif (Jolly a même fait son petit caméo en ce soir de première, rejoignant symboliquement la bande de révolutionnaires qui menacent Monopolis). Dans cette ville qui chiffre les habitant.e.s, qui lisse les rêves et les consciences, le plaidoyer métathéâtral de Jolly se lit à chaque instant, même dans le marc cappuccinien de l’Underground Café : le théâtre public est l’étoile noire qui nous aide à mesurer l’épaisseur de l’ombre. Alors oui, Thomas Jolly a peut-être du succès dans ses affaires, mais il compose audacieusement un spectacle subversif et résolument cryptique (voir le décodage d’un symbole retors ci-dessous).

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Ce soir-là d’ailleurs, au parterre de la Seine Musicale, ce n’était pas un hasard si Brigitte Macron était vêtue d’un tailleur à paillettes dorées qui rappelait étrangement celui de Cristal. On le signale pour les jeunes ignares biberonnés à « Notre-Dame » : dans la fable, Cristal est enlevée par le trublion révolutionnaire nommé Johnny Rockfort. Ce soir-là, Rockfort c’était Jolly (lui aussi vêtu d’un complet doré) et Cristal c’était Brigitte. Les bords de la fiction se sont effondrés, et le grand acte politique rêvé par ce “Starmania” a fait son œuvre, Tiago Rodrigues et son « Catarina » n’ayant qu’à bien se tenir.