Du 11 août au 2 septembre, le Théâtre du Peuple (Bussang) propose à son public de découvrir Je voudrais parler de Duras, une co-création de Katell Daunis et de Julien Derivaz, d’après un entretien de Yann Andréa et Michèle Manceaux. Ou comment du témoignage d’un être fasciné par Marguerite Duras, deux artistes de théâtre tirent un quasi-seul-en-scène piégé à son tour par la fascination pour l’institution qu’est Duras.
Idée géniale, matériau extraordinaire : s’emparer de Je voudrais parler de Duras, l’entretien entre Yann Andréa et Michèle Manceaux où le premier revient sur ses seize années de vie aux côtés de Marguerite Duras, travailler l’histoire de cette relation extraordinaire – au sens étymologique – faite d’amour, d’admiration, d’emprise, d’oubli de soi, de dépendance, de domination enfin. Comment Duras, l’institution, et Marguerite, la femme, ont toutes deux jeté leur dévolu sur un jeune homme en adoration, peu capable de faire la part des choses, inféodé aux désirs et aux diktats de l’écrivaine. On pouvait en tirer quelque chose de fort, de troublant, de violent aussi, une sorte de négatif du phénomène d’emprise qui est exercée plus souvent par des hommes sur des femmes. Cela pose aussi, évidemment, la question de l’art, de ce qui peut y être sacrifié, de la frontière entre le réel et le fictif.
La pièce commence donc par un long extrait tiré d’une émission télévisée, à peine monté, où l’on a le plaisir d’entendre Thierry Ardisson – avec toute la finesse qu’on lui connaît – interroger Yann Andréa à l’occasion de la parution de “Cet amour-là”. Katell Daunis et Julien Derivaz sont en scène, la première attablée derrière un petit bureau dont elle ne bougera jamais, qui lui sert de régie plateau, le second prenant le relais de l’enregistrement pour raconter, dans l’espace nu du plateau, sa vie avec Duras. Construction de la fascination, rencontre, conclusion du pacte, vie commune, déprime après le décès, tout y passe, dans l’ordre chronologique. C’est un peu redondant avec l’enregistrement qui ouvre la pièce, mais c’est efficacement écrit.
Ce long monologue – puisqu’il n’y a quasiment aucune intervention de Katell Daunis, dont on ne comprend le rôle à aucun moment, et dont la présence sur scène a une valeur (au sens dramaturgique) qui laisse un peu interrogatif – est servi par Julien Derivaz face public, avec beaucoup de précision dans le texte. Mais l’interprétation manque quelque peu d’amplitude : il reste – comme le vrai Yann Andréa, du reste – prisonnier d’une hébétude enthousiaste, d’un effacement du moi qui ne permet pas une palette émotionnelle bien large. Le comédien essaie d’utiliser un peu l’espace, mais, s’il fait les cent pas sur scène, cela n’amène pas grand-chose à la proposition. Au final, un long monologue, monotone, qui ne fait que répéter en boucle sur divers mode à quel point le personnage ne peut résister à se mettre entièrement au service – et bien davantage – de Duras, manque un peu à intéresser. Il eût fallu que cette dépendance affective, que cette emprise manipulatrice, soient questionnées, décortiquées, actualisées – mais il n’en est rien, et on a le sentiment que, peut-être, les deux artistes pris dans la fascination de Duras s’identifient trop à leur personnage pris dans la fascination de Duras pour donner à leur proposition la profondeur qu’elle mériterait. C’est dommage, car le matériau est puissant, et on sent que les capacités d’acteur ne demandent qu’à se mettre au service d’une ambition plus aboutie.