Falk Richter est invité cette année à la Biennale de Venise. Sa mise en scène de «Never Forever», sa dernière pièce créée l’an passé à la Schaubühne, ne convainc pas.

(C) Arno Declair

(C) Arno Declair

Le travail de Falk Richter est désormais bien connu des spectateurs français, en particulier ceux du Festival d’Avignon, qui ont pu le découvrir à travers la mémorable mise en scène de « Das System » par Stanislas Nordey en 2008. Falk Richter, né en 1969, peut être considéré comme un auteur représentatif de ce que l’on a appelé « le théâtre postdramatique ». Dépouillé du récit – ce sont désormais les médias qui se chargent de la narration du monde – le théâtre fait entendre la voix d’un sujet dépossédé de lui-même, fragmentée en monologies démultipliées, prise dans un discours collectif où l’individu s’est perdu.
Avec « Never Forever », créé à l’automne dernier à la Schaubühne de Berlin, Richter prolonge la réflexion abordée dans « Rausch » sur l’individu « post-humain » aux prises avec les réseaux sociaux. On a affaire ici à une succession d’autoportraits au micro: une jeune femme qui cumule les relations avec des 18-19 ans, une autre plus âgée perdue dans ses mails, un homosexuel, à la recherche du grand amour et qui se définit en multipliant les hagsthags (#alone, #gayromeo…), un homme divorcé à la recherche de son fils… Les situations, passablement stéréotypées, illustreraient parfaitement un documentaire pour soirée thématique d’Arte. Tout y passe: la peur d’être quitté, la part de bonheur que chacun cherche à obtenir, la solitude des êtres derrière l’écran, le décalage entre la représentation valorisante opérée par les réseaux sociaux et la médiocrité des réalités personnelles, le mécanisme de contrôle des individus, le narcissisme et la frustration générés par ces modes de communication… Pour créer une forme de complicité directe avec le spectateur averti, Facebook, Amazon, Twitter, Spotify, YouTube, WhatsApp Messenger, etc., ponctuent régulièrement le propos.
En soi, le sujet n’est pas inintéressant mais Falk Richter n’est pas Jean Baudrillard: la réflexion manque de profondeur et, même si elle devient plus dense et incisive à la fin du spectacle, l’écriture fait défaut dans cette pièce. Falk Richter traite un sujet. Il s’en empare comme le jeune Fabrice Murgia cherchait à nous faire frissonner sur les mondes virtuels (“Life : Reset | Chronique d’une ville épuisée”), de façon édifiante et quelque peu hypocrite. Du moins y a-t-il chez Murgia une certaine élaboration de la scénographie, qui suscite une curiosité de spectateur.
Ici, la mise en scène de l’auteur affaiblit considérablement la radicalité – théorique – du propos. Après avoir longtemps travaillé, sans beaucoup convaincre, avec la chorégraphe Anouk Van Dijk (“Rausch”), Richter recourt cette fois-ci aux danseurs de Nir de Volff.
Le résultat est un peu plus abouti. Mais on a très vite le sentiment que ces mouvements gesticulatoires, censés traduire l’affolement de l’individu contemporain, font remplissage, tentent vainement de compenser la vacuité de la mise en scène.
D’autres auteurs-metteurs en scène, comme Angelica Liddell ou Rodrigo Garcia, parviennent toujours à créer, avec des moyens parfois insolites, une tension sur le plateau. On se souvient aussi de “L’Orgie de la Tolérance” de Jan Fabre sur un sujet voisin, avec une extraordinaire chorégraphie. Dans “Never Forever”, tout paraît fait pour séduire le spectateur. Mais cet emballage ne le trompe pas. On attendait une mise en scène 2.0 ou, mieux, un véritable geste d’artiste. On a surtout affaire à un spectacle tape-à-l’œil, dépourvu d’âme et de consistance.