Contorsions du corps et de l’âme

Tania’s paradise

Tania's Paradise

Aux Nuits de Fourvière, sur la prairie des Théâtres gallo-romains, la compagnie Attention fragile a installé une petite yourte. C’est dans l’enceinte de ce chapiteau de poche que la contorsionniste Tania Sheflan nous invite à explorer son paradis intérieur. Une proximité rare au cirque, qui permet une interaction émotionnelle très forte entre l’artiste et le public.

Nous sommes une vingtaine autour d’elle. Une piste minuscule au centre de la yourte. Elle y déploie son corps et nous raconte son histoire, partant de son plus ancien souvenir, aussi loin que remonte sa mémoire, jusqu’à la naissance de sa fille. Son enfance en Israël, ses voyages, son arrivée en France. Ce récit personnel, c’est celui d’une femme en permanence étirée, écartée, voire écartelée. Entre ses deux parents séparés ; sa carrière artistique et sa vie de famille ; son pays d’accueil et sa terre d’origine, qui elle-même est écartelée par les guerres. Dans cette analogie entre la contorsion du corps et celle de la vie, l’artiste convoque également parfois le théâtre d’objets, la marionnette, la musique… ce qui emmène le spectacle vers des contrées plus oniriques, parfois abruptes et ambiguës, mais avec toujours le même objectif : tenter de représenter le tiraillement intérieur. « J’ai toujours le cul entre deux chaises », murmure-t‑elle avec malice en effectuant un grand écart entre deux monticules de briques.

Ici, Tania suit le fil de son histoire mais n’hésite pas à interrompre son récit pour le commenter ; reprendre une figure parce qu’elle l’aime bien ; elle invite même un spectateur à participer à un numéro d’équilibre. La distance ainsi abolie nous donne accès à quelque chose d’infiniment précieux et qui est souvent dissimulé derrière le masque de l’incarnation, ou l’enchaînement des numéros. Ce n’est pas seulement pour nous que l’artiste de cirque repousse les limites du corps et défie les lois de la gravité. Ce mandat archaïque que nous lui donnons – à notre place, réaliser l’impossible et narguer la mort –, c’est aussi pour pouvoir s’en sortir qu’elle l’accomplit devant nous. Car vivre est un déchirement, et l’acte de représenter est le seul lien qui puisse apaiser cette plaie.