Hommage écrit peu de temps après le décès de l’homme de théâtre, le petit ouvrage de Jean-Pierre Léonardini “Profils perdus d’Antoine Vitez”, récemment réédité aux Editions le Clos Jouve, revient sur l’admiration du critique pour l’artiste tout autant que sur la vie et l’œuvre du metteur en scène, pour qui engagement politique et art étaient intimement liés.
Délaissant donc l’approche strictement biographique (ou même hagiographique), Léonardini livre ses croquis personnels du grand Vitez, car celui qui écrit est aussi – et avant tout – une mémoire du théâtre. On parcourt alors avec lui au pas de course les mises en scènes de Vitez auxquelles il a assistés ; des premiers émois d’Avignon en 75 avec “Catherine”, tiré d’Aragon, à la fameuse série des Molières, en passant par l’entrée à Chaillot en 1981, jusqu’au célébrissime “Soulier de Satin” (Avignon, encore), les dates et les souvenirs du critique s’égrènent, avec au passage des aveux dont la simplicité émeuvent : “Je ne pleure plus au théâtre. A la longue, on s’endurcit. J’ai pleuré à Electre.” (à propos d'”Electre” de 1986). Et Léonardini de poser la question : y-a-t-il un mot pour pleurer le deuil d’un frère ? Le profil du metteur en scène émerge donc sous les traits de son “frère” critique, réunis par le communisme (un temps – rappelons que Léonardini est toujours le critique de théâtre de “L’Huma” mais que Vitez finit par quitter le Parti Communiste) et le théâtre (toujours). Vitez, “poète avant tout” est loué à la fois pour son talent et son intelligence, son rapport aux classiques et à la langue. On le découvre passionné par la Russie et la Grèce, orthodoxe dans l’âme et grand ami du poète grec Yannis Rítsos. L’autre profil de l’artiste, cette autre face de la “médaille” que Léonardini s’est proposée de frapper, c’est bien celui de l’homme politique, convaincu de la nécessité d’un théâtre “violemment polémique”, capable de faire bouger les lignes de la société dans son ensemble, ancré dans la banlieue rouge d’Ivry tout autant que dans les grands théâtres parisiens (à Chaillot puis au Français). La parole du deuil qu’est celle de Léonardini, née dans l’émotion de la perte, résonne trente ans plus tard avec autant de force et d’engagement. Nous parvient alors une multiplicité de fragments d’un monde théâtral quasi disparu, mais que la plume du critique parvient à ranimer par éclats saisissants, dressant une stèle de mots à l’un des plus grands metteurs en scène français du XXe siècle.